Cette critique a été rédigée à l’aide d’un exemplaire fourni par l’éditeur.
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Au Labo, l’attribution des jeux fait souvent l’objet d’âpres négociations, que tranche dans sa grande sagesse notre bien aimé Lider Maximo. Mais là, j’avais une longueur d’avance sur mes concurrents. Voyez-vous, ma femme est du signe du Rat, alors autant vous dire que je suis devenu un expert de ces adorables bestioles. Ce sont des créatures calculatrices, très malignes, quelque peu fourbes, toujours à l’affût d’un bon morceau de fromage, et non je ne suis pas en train de parler de ma chère et tendre, cessez ces sous-entendus. Bref, je sais tout sur les rats, en plus j’ai vu Ratatouille 27 fois, j’étais donc tout désigné pour me coller à la critique de Les Rats de Wistar, le nouveau jeu de Simone Luciani chez Intrafin.
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Minus et Cortex partent à la campagne
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Comme son nom l’indique, le jeu vous invite à montrer qui c’est Raoul au sein d’une colonie de rats surdoués de la récup’ : cinq manches pour récupérer des ressources, agrandir votre campement, déployer d’autres rongeurs à votre solde, explorer la maison des humains d’à côté et leur sous-sol, et bricoler tout un tas d’inventions à la Géo Trouve Tout. Ça a l’air peu dit comme ça, surtout qu’il faudra composer avec uniquement trois ouvriers tout au long de la partie, mais Rats of Wistar est de ce genre de jeux qui proposent de jolis effets boule de neige à qui aura su prendre le rythme. Quant aux autres ? Ils risquent de souffrir et de trouver le temps extrêmement long.
Le jeu demande en effet régulièrement d’anticiper nos prochaines actions, et d’optimiser leur enchainement. Première originalité, la puissance d’une action principale est déterminée par le nombre de tranches de pain de mie (avouez, la ressemblance est troublante) qu’on aura déployé dans la zone de l’action, sous-sol, sous-bois ou habitation humaine. Et ces pains de mie, ils ne sont qu’au nombre de deux au départ, même s’il est recommandé d’en débloquer d’autres par la suite. Evidemment il est possible de les déplacer d’une zone à l’autre, avant ou après l’action principale, mais les points de déplacements sont une denrée rare qu’il faut économiser. Il faut donc en permanence réfléchir comment tirer profit de leur présence avant de les changer de zone, quand procéder à leur migration, comment en déployer d’autres.
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Tourne, tourne, petit rongeur
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L’autre particularité, c’est que les emplacements pour nos rats ouvriers sont mouvants : tout est géré par une roue qui tourne d’un sixième à chaque début de manche, ce qui va modifier le nombre d’emplacements disponibles pour chaque action principale, ainsi que les actions bonus associées. Lorsque qu’il y a trois spots pour l’action de récolte ou de construction de chambre, c’est tranquille, surtout qu’un joueur ne peut se placer qu’une seule fois sur chaque action principale. Lorsqu’il n’y a qu’un emplacement, c’est tout de suite la guerre et les nervous breakdowns comme on dit dans le Bouchonois. Vous rajoutez à cette gymnastique la fameuse question de l’œuf ou de la poule (je débloque d’abord de nouveaux rongeurs, ou je creuse plutôt les pièces qui accueilleront leurs chambres ?), les différents badges à obtenir pour scorer des objectifs, réaliser des missions ou bricoler des inventions, et vous obtenez du jonglage épreuve olympique.
Heureusement, les actions gratuites sont là pour alimenter les combos et mettre de l’huile dans les rouages, et il est assez satisfaisant de déclencher l’action qui permet d’enfin engranger toutes les récompenses qu’on visait depuis trois tours, sans parler de la mine déconfite de nos adversaires. On explore la maison, pose une carte trouvaille, réalise une mission, puis un objectif, ce qui nous donne une action bonus sympathique, le tout en déplaçant notre piétaille dans un ballet gracieux. On est dans la zone, et tout semble s’enchainer naturellement, le sentiment est grisant. Je suis nul à Barrage, mais il parait qu’on y retrouve le même genre de sensations.
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Tu sais ce qu’elle te dit, la rouetourne ?
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Et puis il arrive que tout aille de travers, et qu’on ait le sentiment d’être en permanence à contre-temps. Clairement, la mécanique de roue d’actions est celle qui demande le plus d’efforts pour préparer les manches qui suivent, avec des actions bonus qui sont parfois idéalement corrélées aux actions principales, et d’autres fois complètement disjointes. Il faut alors savoir se tourner vers un autre pan de notre développement de colonie, ce qui amène vers un autre écueil : il y en a beaucoup et on ne peut évidemment pas tout faire. Certains disent qu’on ne peut pas réussir sans explorer, d’autres cartonnent très bien sans, la réalité est que toutes les stratégies se valent plus ou moins, tant qu’on ne perd pas de temps pour l’exécuter. Plus facile à dire qu’à faire.
Attention donc à la frustration, le jeu aura tôt fait de se transformer en un long chemin de croix si vous n’arrivez pas à trouver le rythme dans l’enchainement des actions. Les missions demandent des badges qu’on n’a pas, les ressources ne sont jamais assez suffisantes, on gaspille des mouvements pour pas grand-chose, les objectifs ou les emplacements nous passent sous le nez, on visualise les rouages mais tout semble terriblement rouillé. Il serait dommage de mettre le jeu à la poubelle à cause d’une mauvaise expérience pour autant : il fonctionne très bien et les différents axes de développement sont plutôt équilibrés, il y a tout à fait moyen de prendre des points ailleurs si quelqu’un se précipite sur les ressources ou sur l’exploration avant vous. Ou même sans être premier joueur de toute la partie. Bref, il vaut le coup qu’on s’accroche et qu’on se frotte à la courbe de progression légèrement pentue. Même si les autres joueurs seront toujours là pour faire rien qu’à nous pourrir notre expérience de jeu.
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Terrier tout confort, magnifique vue sur les égouts
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La bonne nouvelle, c’est qu’avec un solo aussi solide que celui de Rats, plus besoin de subir les râleries de Jean-Michel et les gestes brusques de Jean-Pascal, qui manque à chaque fois de renverser son lait fraise quand il va pour prendre une carte. Juste vous, le bot, et quelques cartes pour gérer la difficulté, l’exploration et les actions de ses méca-rongeurs. Même si celles-ci sont aléatoires (dans une certaine limite, le nombre de cartes n’est pas infini), les bonus que le bot est susceptible de vous voler sous le nez sont eux planifiés, et avec logique, ce qui permet d’anticiper, de temporiser aussi, de prioriser sa stratégie, à l’instar de ce qu’on peut faire lors d’une partie avec de vrais joueurs. Bref le solo est une belle réussite, le designer Mauro Gibertoni a fait du beau travail pour garder les sensations de l’expérience multijoueur, tout en proposant une échelle de difficulté beaucoup plus fine que ce qu’on trouve habituellement.
Les jeux de pose d’ouvrier, ce n’est pas ce qui manque dans le paysage platéoludique (oui parfaitement, platéoludique), et on a parfois l’impression d’avoir fait le tour. Et puis de temps en temps, on tombe sur un jeu qui propose un petit twist qu’on ne connaissait pas, ou qui trouve le bon équilibre fun/complexité même si la formule est vue et revue. Rats fait un peu tout ça, et sans révolutionner le genre, réussit très bien ce qu’il entreprend. Si en plus vous rajoutez des illustrations très agréables avec un choix de couleurs bucolique, et un solo carrément solide, vous obtenez un jeu avec certes un potentiel de crispation bien réel, mais qui saura se faire une belle place dans de nombreuses ludothèques.
Knarr est un jeu surprenant qui nous sort de nos habitudes de consomma-joueur. Il se glisse dans une petite boîte pour un jeu plutôt costaud ; se revêt d’un thème viking mais sans violence, ni pillage ; propose des choix tactiques et stratégiques volontairement réduits mais sans qu’il soit si abordable que ça.
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Elle a tout d’une grande
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La boîte de Knarr est de la même taille que celle de Très Futé (j’ai vérifié). Pourtant une fois le matériel installé, on a pas l’impression d’avoir affaire à un “petit” jeu. J’aime beaucoup le soin apporté à certains détails. Les cartes sont rangées dans des étuis cartonnés et les plateaux personnels possèdent trois encoches de chaque côté pour accueillir les jetons. Un moyen visuel très malin pour nous rappeler le nombre maximum de chaque ressource. Seul regret, la piste de renommée qui, une fois les pions posés dessus, n’est pas très lisible.
Les illustrations, quant à elles, sont juste magnifiques notamment les portraits de vikings qui sont en plus assez nombreux ainsi que les dos des cartes qui reprennent très joliment l’esthétique nordique.
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Course de Knarr
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“Knarr” c’est le nom d’un bateau. Contrairement au drakkar, celui-là était plutôt consacré au commerce. C’est une des originalités de Knarr, si on va se faire viking (c’est à dire prendre la mer pour faire des sous), on va moins se concentrer sur le pillage de monastères et aller faire ce que les hommes du nord faisaient aussi très bien, explorer et commercer.
Le jeu nous propose de la gestion de cartes et de ressources. A son tour, deux actions possibles : recruter ou explorer.
Recruter équivaut à poser une carte “viking”, on récupère alors la ressource associée ainsi que les ressources de TOUTES les cartes “viking” déjà posées devant nous à condition qu’elles soient de la même couleur que notre carte. Ensuite, on récupère en main une nouvelle carte ‘viking’ dans une pioche ouverte selon certaines contraintes que l’on peut ignorer en payant une ressource.
Explorer nous permet de récupérer une carte “exploration” qui va nous donner des bonus immédiats et venir augmenter le nombre de ressources récupérées quand on fait du commerce. Les cartes “exploration” se payent en carte viking, les plus chères sont de grosses sources de points de victoire.
La fin du jeu se déclenche dès qu’un joueur a atteint 40 points de victoire et c’est, bien sûr, celui qui en a le plus qui gagne. C’est donc une course et tout le sel du jeu est là. Il faut réussir à déterminer quand il est plus profitable pour nous de casser notre longue suite de vikings verts ou violets pour aller explorer. Même si le calcul est rendu plus complexe en raison de quelques mécaniques annexes comme la piste de renommée qui, une fois montée, offre des points de victoire à chaque tour, les ressources ‘recrues’ qui permettent d’explorer pour moins cher et le commerce, une action bonus qui demande une ressource spécifique pour être utilisée.
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Bla Bla Knarr
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Knarr a un aspect que j’aime bien mais qui peut déplaire, il ne se laisse pas apprivoiser facilement. On comprend ce qu’on nous demande mais les stratégies d’optimisation ne m’ont pas paru si évidentes à trouver lors de mes premières parties. C’est probablement pour ça qu’il offre rapidement les sensations d’un jeu plus “lourd” mais il ne faut pas s’attendre à une si grande profondeur. Le hasard est capricieux et peut rapidement compliquer une partie (surtout avec une mauvaise main de départ). Il n’y a pas non plus des milliers d’actions possibles surtout quand on cherche l’optimum. Plus on joue, plus on résout facilement les dilemmes et les coups deviennent de plus en plus évidents. Même si – c’est le bon côté du hasard – la possibilité de coups opportunistes maintient notre attention en éveil.
Il ne faut pas non plus s’attendre à un jeu de confrontation. Il n’y a pas d’interaction directe même si nous sommes clairement en compétition sur les cartes. C’est d’ailleurs pour ça que je le trouve plus agréable à deux. Les coups d’un seul adversaire étant facilement anticipables.
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Petit mais costaud ?
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Je suis heureux de voir que l’éditeur de Sea Salt & Paper continue de faire des boîtes juste assez grandes pour le matériel qu’elles contiennent. Ça ne les empêche pas d’ailleurs de nous offrir du contenu classieux et des illustrations de qualité. Pour autant, il ne faut pas prendre Knarr pour un jeu expert miniature. Une fois qu’on a compris que l’on ne fera pas des dizaines de parties avant d’en découvrir toutes les stratégies, l’expérience de jeu est très plaisante.
Knarr nous offre, avec beaucoup de réussite, notre dose de réflexion et de dilemmes tactiques. Il ne deviendra pas votre jeu de chevet mais sortira de temps en temps, notamment à deux. Je veux jouer à du lourd, ma femme ne se sent pas de faire une partie d’une heure et demi, Knarr semble être un bon compromis.
J’ai toujours été fan des comparaisons osées. Certes, des fois ça me pousse à révéler des secrets honteux, comme cette recette du cassoulet/huitres, que je ne détaillerai pas ici parce que je ne pense pas que le monde soit prêt. Mais avouez que, la plupart du temps, on comprend tout de suite de quoi on parle, et puis de toute façon vous n’avez pas le choix, c’est moi qui écris et vous qui lisez. Où en étais-je ? Ah oui, Spirit Island, et plus précisément la dernière extension sortie par Intrafin, Terre Fracturée. Croyez-moi ou non, mais découvrir Terre Fracturée après quelques parties du jeu de base, c’est comme s’apercevoir, après sué sang et eau pour grimper une petite corniche, qu’il y a tout un Mont Everest derrière. C’est terrifiant et exaltant à la fois. On a hâte de découvrir ce qui nous attend, toutes les nouveautés, comment on va aborder ces nouvelles difficultés. Et surtout, on a hâte de découvrir à quel point on va souffrir.
Pour rappel, retrouvez en cliquant sur l’image les critiques du jeu de base et de la 1ère extension :
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Rengagez-vous qu’ils disaient !
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Je ne vous ferai pas l’affront de rappeler en quoi consiste Spirit Island, nous sommes ici entre gens de bon goût. Je rappellerai juste que si le jeu de base offre déjà un puzzle d’un fort beau gabarit, avec ses notions de pouvoirs lents, pouvoirs rapides, ses éléments qui permettent de déclencher d’autres pouvoirs si on les combine correctement, ses adversaires et ses scénarios qui introduisent de nombreux twists dans le déroulé de la partie, voire carrément de nouvelles conditions de victoire ou de défaite, l’extension quasi obligatoire De Griffes et de Crocs vient compléter à merveille la proposition en introduisant les événements qui rajoutent un peu d’aléatoire, juste ce qu’il faut pour ruiner nos si jolis plans. Et quand on aboutit à un chef d’œuvre de gameplay, pourquoi vouloir absolument ruiner l’expérience en l’alourdissant ?
Sauf que l’idée de R. Eric Reuss est tout autre. Il ne s’agit pas ici de rajouter des couches de règles, des plateaux supplémentaires (même s’il y en a, avec des regroupements de régions qui génèrent des problématiques encore nouvelles) ou autre, mais plutôt de voir jusqu’où on peut tordre le principe même du jeu, jusqu’où on peut creuser dans le bac à sable qu’est Spirit Island avant de taper dans le béton. Et à en juger par le contenu extrêmement généreux de la boite, la mécanique de jeu est solide comme rarement, tant il est possible de la malmener sans la briser et perdre de vue ce qui rend ce jeu si incroyable. Ainsi, toute une ribambelle d’esprits plus étranges les uns que les autres viennent enrichir la collection déjà conséquente, des pouvoirs hyper différenciés et de nouveaux ennemis font leur apparition, et l’auteur se permet le luxe d’introduire les aspects, qui altèrent plus ou moins en profondeur les esprits présents dans la boite de base. Il s’agira des fois de corriger une faiblesse, ou de le rendre peut-être plus intéressant, mais le plus souvent le joueur devra repenser sa manière de jouer.
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Same same, but different
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Ainsi, lors de ma dernière partie, j’avais choisi d’expérimenter un nouvel aspect de l’esprit Jaillissement de la Rivière Etincelante, un esprit de la boite de base que je joue rarement, tout simplement parce que ses particularités ne me parlent pas plus que ça. Sa règle spéciale le fait considérer les régions marécages comme des sanctuaires, c’est intéressant parce qu’on peut se permettre d’éparpiller nos présences sans se fermer de porte en matière de pouvoirs. Mais c’est passif, et j’avoue préférer les esprits qui demandent de jongler avec plusieurs paramètres, qu’ils soient complexes ou non d’ailleurs. L’aspect « voyage » de cet esprit vient tout bouleverser, et ce juste en modifiant quelques lignes : ce ne sont plus les marécages qui sont automatiquement considérés comme des sanctuaires, mais les régions dans lesquelles il y a quatre Dahans ou plus, il revient alors au joueur de déplacer ses Dahans au début de chaque phase de croissance pour tirer parti de cette capacité. Tout d’un coup la complexité augmente, un troisième étage se rajoute au puzzle pouvoirs lents/pouvoirs rapides et le joueur devient beaucoup plus actif dans la gestion de l’esprit. Brillant.
C’est brillant, mais on reste sur du classique : certes les aspects permettent de renouveler l’approche des esprits existants, mais les mécaniques en jeu restent celles de la boite de base. Les nouveaux esprits, eux, changent carrément la donne. Je ne vais pas tous les lister, parce qu’ils sont tous plus étranges les uns que les autres et qu’ils mériteraient tous un article à part entière. Je vais juste en évoquer deux. Le premier vous amène à incarner l’esprit d’un volcan, et c’est l’un de mes préférés tant il est thématique. D’ailleurs il s’appelle Volcan Dominant l’Île, ça annonce la couleur. Un volcan, ça ne bouge pas, alors vos présences seront cantonnées aux régions montagneuses, et elles vont s’empiler forcément. Un volcan, ça fait monter la pression jusqu’à l’explosion, et vous aurez ainsi l’opportunité, au bout de quelques manches, de sacrifier vos présences pour infliger des dégâts monstrueux à tout le voisinage. Comme un volcan, voilà. On a donc un esprit résolument déséquilibré, qui abandonnera complètement certaines régions, mais qui possède une énorme de frappe si on survit jusque-là.
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Maitre Reuss sur un arbre complètement perché
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C’est le genre d’audace de gameplay qui me réjouit grandement, et Lueur Etoilée Cherchant sa Forme pousse le bouchon encore plus loin. Genre, dans l’espace. En lisant sa fiche, on réalise encore une fois à quel point ce jeu est hyper modulable, et rejouable à l’infini. La plupart des esprits demandent de choisir entre plusieurs options de croissance prédéfinies, comme gagner un pouvoir, poser une présence, récupérer les pouvoirs de sa défausse, et ainsi de suite. Lueur Etoilée invite lui le joueur à définir tout au long de la partie quelles seront les options de croissance qui lui seront offertes, quels pouvoirs innés il va régulièrement jouer, et évidemment il faudra faire des choix et écarter d’autres possibilités qui avaient l’air tout aussi réjouissantes. C’est l’esprit adaptable par excellence, et pour quelqu’un qui connait bien le jeu, il permet a priori de gérer n’importe quel adversaire, n’importe quel partenaire, n’importe quelle configuration. Sans parler de la rejouabilité, énorme, puisque lors d’une prochaine partie, on pourra tout à fait choisir d’emprunter un autre chemin de progression, parmi 16 possibles.
N’allez pas non plus penser que les esprits que j’ai passé sous silence sont moins intéressants, au contraire, il y en a pour tous les goûts, y compris les plus bizarres. Gestion de la temporalité, pouvoirs aléatoires, dégâts qui ne disparaissent pas d’une manche à l’autre, focus sur les éléments, chaque esprit de Terre Fracturée propose un challenge original et intéressant. Evidemment, l’extension vient également avec son lot de scénarios et surtout d’adversaires, qui proposent des puzzles différents, qui vont mettre l’accent sur la gestion des constructions, ou bien renforcer la défense des villages, et ainsi de suite. Cela oblige la plupart du temps à sortir de son schéma classique de gestion des envahisseurs, et l’échelle de difficulté très fine permet de se concocter un défi aux petits oignons. D’ailleurs, une fois qu’on y a goûté, aux adversaires, pas aux oignons, suivez un peu, il est difficile de retourner à une configuration sans, qui parait en comparaison un peu trop directe et même simple.
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Venez, n’ayez pas peur…
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Simple, Spirit Island ? D’accord, le mot est fort, et sans doute faux. Mais j’ai choisi en rédigeant cet article, de m’adresser à une toute petite niche, celle des joueurs qui ont osé franchir le pas et ouvrir la boite de Spirit Island, et qui ont aimé ça, et qui ont eu envie d’approfondir le concept et de se mesurer à plus dur, plus complexe, plus bizarre. A ces gens-là, je leur dis sans détour, foncez, c’est de la boulette. Et pour tous les autres ? Croyez-moi, j’aimerais écrire que n’importe qui peut jouer à Spirit Island, parce que le jeu n’est pas si compliqué à expliquer, et que les actions entreprises par les joueurs ont des conséquences souvent immédiates. Mais je sais que certains resteront complètement réfractaires. Et pour ceux qui n’ont pas encore essayé, je ne peux que leur conseiller de se mesurer à la boite de base, et s’ils ne sont pas parti en courant, de découvrir la richesse de Terre Fracturée. On atteint là l’un des summums de l’expérience solo ou coopérative en jeu de société.
Il y a quelque temps, Twoid Games nous a proposé Legends of the Void, un jeu semi coopératif avec des relents de Terraforming Mars qui s’est fait sa petite place malgré sa langue anglaise et ses illustrations sans âme.
Le studio a donc relancé une campagne avec un second jeu dans le même univers, Fall of Lumen.
Ce jeu est tout ce que l’on retrouve dans un Kickstarter des plus classiques : du gameplay multimécanique, des ressources dans tous les sens, des cartes à effets qui font tout et rien, bref, c’est bancal.
Mais parfois ça marche ! Et des fois, ça marche même très bien. Alors, je ne vous promets pas le nouveau jeu expert qui mettra tout le monde d’accord, loin de là même.
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Fall of Lumen me plait beaucoup, mais il n’est pas simple de dire exactement pourquoi. Je comprends mieux ce qui ne me plait pas et, pourtant, je ne me lasse pas d’y jouer.
Commençons par la fiche technique du jeu avec du deckbuilding, des déplacements de notre héros sur une carte, de la création de tableau, de la gestion de ressources… Trop ? Peut-être. En tout cas, tout cela n’est rien comparé à la création de votre héros en début de partie.
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C’est, je crois, mon moment préféré de la partie, cette séquence de choix de cartes avec des bonus dans tous les coins à bien aligner pour démarrer sur les chapeaux de roue. Ce moment me rappelle le sentiment que j’ai à chaque fin de partie de Roll Player où je viens de créer un super perso et le jeu me dit stop. Ici avec FoL, je vais savoir où mon héros va aller et ce qu’il va devenir, je vais avoir toute l’aventure du gars, mieux ! Je vais l’écrire.
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Le jeu propose de vous déplacer de région en région pour y récolter ressources et cartes. Le but final est de placer des agents dans la Cité de lumière qui se déplace de manche en manche. Placer ces agents est l’unique source de points de victoire du jeu, un axe clair et net et surtout bienvenu pour la lisibilité du jeu.
Un objectif clair, un perso ultra personnalisable, un petit côté narratif où l’on crée son histoire et avec tout ça, vogue la galère !
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Pour le reste, attention, c’est moins sexy. FoL est un jeu « solo à plusieurs », derrière cette belle formule vous trouvez un jeu aux interactions réduites à peau de chagrin. On se bat sur des marchés de cartes avec le premier arrivé, premier servi et sinon sur le placement des agents qui amènera un surcout pour les autres très léger.
Donc pas besoin d’y jouer à 4 au risque d’en faire un jeu bien trop long, bien trop chronophage sans aucun apport au gameplay. Jouez-le à 2 ou à 3, il sera bien plus agréable et avec une durée acceptable.
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Le jeu utilise 10 ressources. Dix. C’est le grand n’importe quoi des kickstarter où les idées de gameplay finissent par rendre le jeu foutraque ou bancal en refusant d’enlever un pan de gameplay. Généralement, ça se voit par un nombre de ressources ridicule.
Regardez dans votre ludothèque des jeux avec de nombreuses ressources : il y en a bien évidemment, mais pas à ce point. Terraforming en a 6 et c’est déjà énorme, ici on parle quasiment du double, on peut même ajouter à cela les icônes des ressources qui sont très proches et que les joueurs inversent à chaque partie.
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Continuons avec les icônes. Il y en a beaucoup, elles sont vraiment peu claires tant que vous n’aurez pas fini votre première partie, c’est-à-dire une fois que vous aurez joué chaque action 2 fois et donc mémorisé l’action à laquelle correspond « le petit dessin ».
J’ai découvert FoL à la même période qu’Inventions et il n’y a pas photo, Ian O’Toole est un génie de l’iconographie (ce qui n’est pas si mal). Tout ceci pour conclure que les icônes de FoL sont si mauvaises que l’aide de jeu qui reprend tout simplement le livret de règle pour chaque est une aberration, il faut l’apprendre et non l’utiliser, ça n’a aucun sens.
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Vous savez désormais ce que je reproche au jeu, je tiens à le préciser de nouveau ici : j’aime beaucoup Fall of Lumen. C’est un jeu qui n’est pas parfait, qui a de gros défauts, mais je me plais tant à le jouer que j’ai pris le parti de passer au-dessus.
Le jeu est là pour vous faire passer un bon moment, il vous donne une petite carte qui vous relance, une ressource qui permet de mieux anticiper la suite, il est bienveillant. On passe donc un moment ludique sans trop de tension, le but est de résoudre son puzzle personnel sans trop se soucier des autres, voire même en s’associant par moment avec eux pour nettoyer une région des troupes du jeu ou en effectuant les missions d’une région pour ajouter des agents à récupérer avant de les placer dans la cité de lumière.
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Vous le comprenez, Fall of Lumen n’est pas le jeu parfait. C’est un Kickstarter avec tous ses défauts, mais également de belles qualités qui aura fait tomber la pièce du bon côté dans mon cas.
Un jeu plutôt initié, voire expert, avec pléthore de ressources, cartes et effets à maîtriser pour jouer sereinement. Je vous invite à y jouer plutôt à 2 ou 3, mais vraiment pas à 4, où le jeu devient bien trop long et ennuyeux. Un autre avantage, son prix plutôt contenu de 59 €, une bonne surprise.
Jouez le avant de l’acheter si vous le pouvez, c’est toujours mieux, mais ici le jeu est clivant. L’anglais n’est pas un problème, il n’y a pas de texte sur le matériel, on laisse l’aide de jeu de côté (il existe une VF fan made).
Personnellement, c’est un jeu qui me plait beaucoup et que je rejoue à chaque fois avec plaisir.
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ndlr : le jeu n’est pas distribué ni traduit en français pour le moment, à part le trouver sur okkazeo ou un autre site, il est difficilement trouvable à ce jour.
Le Nutella, j’adore ça, j’en mangeais à la petite cuillère quand j’étais petit et que j’avais encore une silhouette de dieu grec. Et qui n’aime pas un bon smash burger, avec les petits oignons brunis, la viande qui caramélise, le cheddar qui fond ? Et bah pourtant, il ne me viendrait jamais à l’idée d’enduire mes tranches de tomate juteuses de pâte à tartiner chocolat/noisette. Il y a des mélanges qui ne se font pas. Du coup, quand on prend un jeu de pur affrontement où tout l’intérêt réside dans le fait d’anticiper et de deviner le plan de l’adversaire, et qu’on veut en faire un jeu coopératif contre une IA plutôt sommaire, je me méfie. J’ai beau être un grand amateur de jeux coopératifs, et avoir beaucoup d’affection pour Unmatched, quand j’ai appris que la gamme s’enrichissait d’un mode coopératif introduit par la boite Chroniques Inouïes, j’étais bigrement intéressé, mais aussi un peu circonspect.
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Robin des Bois et l’attaque de la moussaka géante
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Pour ceux qui du fond qui ronflent comme des bienheureux, Unmatched est donc un jeu essentiellement en 1v1 où chacun incarne un personnage de la culture populaire et tente de terrasser son adversaire en jouant les cartes de son deck à bon escient. Les parties durent 20 minutes avec des règles très simples, les figurines, le plateau de jeu, les cartes sont de qualité, les personnages sont souvent très différenciés, on essaye tant bien que mal de rentrer dans la tête de l’autre, et tout l’intérêt réside dans le fait de tirer parti des points forts et des faiblesses du Petit Chaperon Rouge ou de Black Panther. J’ai d’ailleurs écrit tout un article sur l’ensemble de la gamme, mais je suis sûr que vous l’avez déjà lu. En tout cas, je trouve que le concept marche très bien, et découvrir de nouveaux personnages d’une boite à l’autre me suffisait largement jusqu’à présent.
Entre donc en scène Chroniques Inouïes. 4 combattants, que l’on peut tout à fait utiliser pour jouer dans le mode habituel, un plateau de jeu double face et dédié, mais surtout 2 vilains et un ensemble de sbires dans lequel piocher pour varier les mises en place de départ de ce mode coopératif, où le but est d’aplatir à coups de pelle une grosse mouche géante, ou bien une soucoupe volante remplie de petits hommes verts. Oui, l’ambiance est très Pulp, et les héros sont à l’avenant, même si un joueur non-US risque de les trouver quelque peu obscurs. A part évidemment Tesla et ses bobines, il s’agissait pour moi de parfaits inconnus. Difficile du coup de s’enthousiasmer sur l’astuce du gimmick et des cartes qui retranscriraient brillamment la particularité des personnages, ils auraient pu tout aussi bien être créés de toutes pièces. C’est quand même plus rigolo quand on joue avec le brouillard de l’Homme Invisible ou la relation Achille/Patrocles, là on sait de quoi on parle. Cela dit, ne pas connaitre Golden Bat or Dr Jill Trent n’empêche pas de profiter des mécaniques assez intéressantes, et originales, qu’ils proposent.
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Chacun pour soi, et Dieu pour tous
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Et puis, on peut tout à fait remplacer les personnages par ceux d’autres boites, donc ne nous laissons pas abattre et évoquons plutôt les nouvelles mécaniques qui permettent de s’allier contre un ennemi commun. Chaque boss vient avec son côté du plateau de jeu, son deck perso et ses conditions de défaite, sachant que la victoire consiste forcément à amener son nombre de points de vie à zéro. Il est accompagné d’autant de sbires qu’il y a de joueurs, et chaque sbire a également son propre deck. Pour savoir à qui c’est le tour, on retourne la prochaine carte du paquet d’initiative, à la façon d’Aeon’s End, et quand les ennemis doivent jouer, ils se déplacent vers le joueur le plus proche et attaquent à l’aide de la prochaine carte de leur deck. Voilà pour le spécifique, tout le reste suit strictement les règles habituelles d’Unmatched. C’est donc très simple à gérer, et il n’y a aucune incertitude ou presque lorsqu’on joue, pas d’arbre à décisions hyper élaboré ou de zone de flou concernant le comportement des Martiens ou de l’Homme-Papillon.
Les joueurs doivent donc gérer à la fois les différents sbires, qui peuvent infliger de sérieux dégâts, ralentir la progression de l’ennemi, et lui taper dessus très fort, parce que c’est ça qui permet de gagner et que de toute façon il ne comprend que la violence. D’une certaine façon, on retrouve les sensations d’un Marvel Champions par exemple, avec les différentes priorités orthogonales et le peu de cartes en main pour essayer de toutes les gérer. Alors forcément, on essaie de se répartir les tâches, suivant notre emplacement sur le terrain, nos capacités, les actions que l’on peut faire sur le moment. Et à l’inverse de Marvel Champions, même en jouant à 4 novices, on reste aux environs des 90 minutes. Il faut dire qu’il n’y a pas lieu de discuter pendant des heures sur les synergies qui pourraient s’établir entre les joueurs, pour la bonne et simple raison qu’il n’y en a pas. En effet, Unmatched reste avant tout un jeu d’affrontement, et plus spécifiquement de duel, et les decks fixes des combattants ont été conçus dans cette optique, même ceux fournis avec la boite. N’espérez pas donc trouver de cartes qui permettraient de soigner un allié, ou de booster l’attaque d’un camarade, ou de faire du support de manière générale. Il sera toujours possible d’utiliser les items du plateau pour aider un camarade en difficulté, mais cela reste très limité.
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Vous avez de la tarte aux concombres ?
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Si vous rajoutez à cette absence de travail collaboratif, l’aléatoire exponentiel du jeu, avec un deck initiative qui peut vous faire jouer à la fin sans carte en main et cerné de toutes parts, et jusqu’à 5 decks ennemis qui recèlent quelques cartes bien violentes et dont les cartes sont jouées dans un non-ordre sans aucun guessing possible, toute volonté de contrôle part instantanément en fumée. Vous êtes là pour subir ce qui arrive, et suivant les attaques ou les défenses jouées par l’IA, la situation pourra basculer dramatiquement dans un sens ou dans l’autre. Ce qui donne des parties parfois enthousiasmantes qui nous laissent exploiter toute la particularité de notre personnage, parfois beaucoup trop punitives et interminables, avec un joueur éliminé dès le premier tour et condamné à regarder les autres galérer pour le reste de la soirée, et parfois encore beaucoup trop faciles sans aucune tension. Le jeu ne met en place aucun garde-fou qui permettrait de contenir le chaos inhérent au système, et ça peut amener pas mal de la frustration.
Alors, qu’est-ce qu’il manque à Chroniques Inouïes ? Après un petit comparatif avec les nombreux jeux coopératifs qui se retrouvent tout en haut de mon panthéon personnel, je constate qu’ils doivent leur place entre autres au fait de réussir à proposer aux joueurs de se spécialiser et de travailler ensemble afin de compenser les faiblesses des uns et d’exploiter les forces des autres. C’est ça qui me plait, réussir à donner autant d’importance à celui qui tape fort qu’à celui qui contrôle ou celui qui est en soutien, et faire en sorte qu’on ne puisse pas gagner sans l’un ou l’autre. Rien de tout ça ici, on se retrouve dans une sorte de jeu solo à plusieurs où chacun va s’amuser avec son personnage dans un environnement hostile, en tentant de faire progresser l’objectif commun.
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Oui ? C’est pas bon, hein ?
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Attention, cela reste Unmatched, et il y a toujours le plaisir de composer avec le gimmick du combattant que l’on a choisi, et rien que ça justifiera l’ajout de la boite à la collection. Mais pour ceux qui cherchent avant tout une expérience coopérative et ne sont pas forcément des grands fans de la gamme, je trouve le jeu définitivement bancal. En solo, le vilain n’est clairement pas assez fort avec ses 10 pauvres points de vie, et à plusieurs, l’absence de synergie entre les joueurs lui enlève à mes yeux une grande partie de son intérêt de jeu coopératif. Dans un monde parfait, des paquets affinités auraient rajouté des cartes dédiées attaque, soin ou boost (entre autres) aux decks des combattants afin de les spécialiser (quitte à enlever certaines cartes pour ne pas avoir des decks trop volumineux), mais le choix d’avoir pour chaque combattant des dos de cartes magnifiquement et différemment illustrés rend la chose matériellement impossible. Au final, et de manière assez paradoxale, c’est le soin apporté au jeu qui l’empêche d’être un vrai bon jeu coopératif.