Test : Daybreak

Test : Daybreak

Daybreak a remporté le Spiel des Jahres 2024, l’équivalent de l’As d’Or jeu de l’année en France. Il débarque depuis quelques semaines en français dans nos boutiques, et j’ai pu y jouer. Si vous connaissez Pandemic, vous ne serez pas dépaysés. Normal me direz-vous l’un des auteurs, Matt Leacock est aussi l’auteur de la série Pandemic. Rien ne se perd comme on dit.

Donc au programme, coopération, sensibilisation aux changements climatiques, et jeu très bien édité.

« Pandemic inspired »

Vous aurez donc des pays à gérer, ainsi que leurs productions d’énergies fossiles et vertes. Le jeu vous fera apparaître des menaces à gérer (ou pas), et à chaque fin de tour, votre bilan carbone fera augmenter la température globale, résultant en la perte de la partie si vous n’arriver plus à absorber tout ce que le jeu vous enverra sur la tronche.

A l’aide de cartes que vous pourrez utiliser de plusieurs façons, vous pourrez renforcer vos actions, les donner à vos voisins, les utiliser pour activer des projets profitant à la table entière, remplacer vos actions à dispo … Un petit air à la Terraforming Mars avec aussi des badges sur les cartes.

Pas grand-chose de neuf sous le soleil, Pandemic n’est pas loin.

C’est du jeu coop, donc les joueurs alpha seront à bannir, même si vous pouvez jouer avec votre main de cartes cachée pour garder un minimum de contrôle de votre tour. La plupart des infos sont visibles, mais il faut tout de même passer du temps à bien lire toutes les actions dispo de vos voisins (qui peuvent changer de tour en tour). Avec vos cartes cachées, c’est à vous de donner les infos potentiellement intéressantes pour les autres. Pas adepte des jeux coop en général, je reconnais à celui-ci la limitation de l’effet joueur alpha qui ne manque pas de se produire avec cette mécanique.

Thème porteur

Pourquoi Daylight fait-il autant parler ? Mécaniquement parlant, je ne lui trouve rien de bien original. Plutôt un assemblage de choses qui fonctionnent très bien ensemble, mais dans un écrin porteur. Le thème fait très clairement autant parler que le jeu, avec cette course contre-la-montre et le réchauffement climatique. Climatosceptiques s’abstenir, le jeu mise tout là-dessus, avec un travail cohérent et documenté, et une édition aux petits oignons (dommage quand même pour les QR codes dans la VO qui n’ont pas été traduits en français).

Le jeu est beau, c’est subjectif mais c’est mon avis, et le travail de l’illustrateur Mads Berg n’y est pas étranger. L’illustrateur danois ne semble pas un inconnu dans son domaine, et serait reconnu pour son travail style art-déco moderne, et graphismes vintage (pâle traduction de ce qui est indiqué dans BGG… vous m’excuserez). En tous les cas, cela donne un jeu vraiment abouti visuellement, rien que la couverture sort de l’ordinaire. Le livret de règles est parfait selon moi, une taille que j’aimerais croiser plus souvent dans les jeux plutôt que les livrets trop petits ou trop grands à manipuler. Un format mini-magazine idéal à parcourir même en cours de partie.

Pas de plastique dans ce jeu, c’est dans le thème, et des rangements sont prévus pour le matériel. Encore une fois des éléments qu’on aimerait croiser plus souvent.

Les limites du thème

Je m’interroge sur le succès de ce jeu si ce n’était aussi et surtout pour ce thème. Le fait de le voir remporter des prix, de générer un buzz assez retentissant. Si je m’attarde sur le niveau mécanique du jeu, je n’y vois pas d’effet waouh qui justifie ce prix de jeu de l’année outre Rhin.

Le message véhiculé, le travail d’édition et de création, de documentation, sont bien sûr à souligner et à récompenser.

Avec ces éléments additionnés, je peux comprendre le succès du jeu. En serait-il autrement sans ce thème ? Nul ne le sait, et il faut prendre le jeu dans sa globalité de toute façon, et sa proposition complète.

Attention à la transition

Vous devrez compenser votre impact énergétique, faire une transition vers de l’énergie verte, contenter les populations et contrer les menaces qui arrivent par vagues chaque tour. Assez classiquement et mécaniquement, vos actions monteront en puissance au cours de la partie, votre population et sa demande en énergie augmentera chaque tour, et vous devrez la contenter. Au final, le puzzle se met en place et on augmente/diminue telle ou telle icone ou valeur. On additionne les éléments marrons de votre plateau, on réduit des tokens présents sur le plateau central (eau et forêts) et on augmente la valeur rouge sur le côté d’autant (température). On peut clairement sortir en partie du thème et se concentrer sur la mécanique, comme beaucoup de jeux finalement.

Un peu à la manière d’un Terraforming Ares et son extension coop Crise, Daybreak peut vous permettre de cumuler jeu coop et le jeu chacun dans son coin. Ce qui me déplait dans Pandemic et la majorité des jeux coop c’est qu’il y a peu d’éléments « personnels » dans le sens où il est très facile de lire toutes les infos du plateau central et des joueurs, et d’orienter les actions de tout le monde. En résulte un sentiment de décider pour tout le monde et de voir certains joueurs devenir simples spectateurs. Daybreak propose un plateau personnel avec plusieurs éléments, et des cartes en main, à défausser, à glisser sous les cartes actions, ou pour devenir une nouvelle action. Il est moins facile d’avoir une lecture complète du jeu d’un autre joueur d’un simple coup d’œil. Un joueur devra construire son moteur en renforçant ses actions dispo, et jouer main de cartes cachées permet que chacun décide de partager les infos qu’il choisit. Un joueur pourra du coup intervenir sur son plateau et ses actions, et garder un œil sur les menaces et projets globaux. La coopération n’est pas forcée ou subie, même si un joueur alpha ne pourra se retenir de venir à vos côtés pour lire vos actions disponibles 😉

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Prix constaté : 50 €

Test : Les Architectes d’Amytis

Test : Les Architectes d’Amytis

Cette critique a été rédigée à l’aide d’un exemplaire fourni par l’éditeur.

Tous les étés c’est pareil : promis, cette fois on emmène que cinq jeux, de toute façon on va passer la semaine à faire de super randonnées champêtres et à s’entrainer au lancer de hache sur cible vivante. Et tous les étés, ça ne manque pas, on embarque deux sacs entiers remplis plein la gueule. Plus un ou deux fillers évidemment. Un filler, mais qu’est-ce que c’est ? Un filler, tout le monde le sait : c’est, en tout cas pour moi, le jeu que tu ressorts toujours avec grand plaisir lorsque tu as une demi-heure devant toi. L’équilibre mise en place, règles, fun, réflexion, est juste parfait et la rejouabilité évite d’avoir l’impression d’avoir fait le tour au bout de cinq parties. Le jeu qu’on rajoute toujours à la pile déjà conséquente de boites qui s’entassent dans le coffre de la voiture. Et cet été, le filler qui va bien, c’était Les Architectes d’Amytis.

Sur les bords des fleuves de Babylone

Le nouveau titre de La Boite de Jeu s’installe en deux minutes, s’explique en cinq, et se savoure pendant une trentaine. Mais ne partez pas tout de suite l’acheter, attendez au moins de voir de quoi il en retourne. Qui dit Amytis, dit Nabuchodonosor (Comment ça, non ?), et donc Jardins Suspendus de Babylone. Vous voici donc architecte en chef, et chargé de réaliser la plus belle des Babylones pour l’épouse du roi. De manière légèrement plus pragmatique, les joueurs vont chacun leur tour choisir une tuile parmi celles disponibles sur un plateau principal et la placer sur leur plateau personnel, afin de marquer des points immédiats en fonction de leur type (palais, jardin, etc.) et de réaliser des patterns basés sur la couleur et qui eux scoreront en fin de partie. Evidemment, on essaiera au maximum de concilier les deux.

Et… c’est tout ? Pas loin, mais il y a un petit twist qui amène juste ce qu’il faut d’interaction entre les joueurs : pour récupérer une tuile, il faut poser l’un de ses pions sur la pile qu’elle chapeaute, parmi les neuf disposées en carré sur le plateau principal. Evidemment, si l’un de vos pions ou l’un de ceux de votre adversaire est déjà sur la pile, impossible de chopper la tuile convoitée. Je vous sens anxieux, comment donc faire en sorte dégager l’importun ? Rassurez-vous, dès qu’un joueur a placé ses 4 pions, il les récupère automatiquement au tour d’après, libérant ainsi les piles occupées.  Et pour rendre la chose un peu plus palpitante, si grâce à une science maitrisée du morpion, vous avez réussi à placer vos trois premiers pions de manière à les aligner, vous pouvez les reprendre en main sans attendre le 4ème, en plus de gagner une faveur du roi, c’est-à-dire un scoring de fin de partie à choisir parmi une dizaine et dont vous seul bénéficierez.

Petit mais costaud, malin, mignon, etc.

A partir de trois ou quatre petites règles, Architectes arrive ainsi à rendre les décisions des joueurs multi-dimensionnelles, entre le scoring immédiat de la tuile choisie, le pattern que l’on souhaite réaliser, les contraintes de placement de nos pions, le fait de libérer des emplacements pour l’adversaire, les scorings de fin de partie qu’on essaye de rentabiliser. Certes, on n’atteint pas des sommets de complexité, mais ça rend le défi intéressant juste ce qu’il faut, le jeu rapide à jouer, et du coup facile à ressortir quand on est deux et qu’on n’a pas deux heures devant soi. Cerise sur le gâteau, le plateau sans cesse mouvant, la variété des patterns et les scorings alternatifs pour chaque type de bâtiment apportent suffisamment de variété et empêchent les parties de toutes se ressembler. Cette fameuse rejouabilité nécessaire à tout bon filler qui se respecte.

Voici donc un jeu qui se trimballe facilement dans sa petite boite, illustré avec goût, qui sait ce qu’il veut avec une configuration unique à deux joueurs, et qui le fait très bien. Le puzzle proposé est plaisant, et se renouvelle assez pour donner envie d’y revenir même après une dizaine de partie. Et l’équilibre est joliment trouvé avec des règles joueuses, ce qu’il faut pour plaire aux habitués, sans être trop complexes, permettant de le proposer à toute sorte de public. Et j’ai beau aimer d’amour les gros jeux tout plein de poils qui surchargent mes étagères, je suis ravi de pouvoir dorénavant placer Architectes juste devant, prêt à le dégainer dès que l’occasion se présentera.

Disponible ici :

Prix constaté : 18,50 €

Test : Les rats de Wistar

Test : Les rats de Wistar

Cette critique a été rédigée à l’aide d’un exemplaire fourni par l’éditeur.

Au Labo, l’attribution des jeux fait souvent l’objet d’âpres négociations, que tranche dans sa grande sagesse notre bien aimé Lider Maximo. Mais là, j’avais une longueur d’avance sur mes concurrents. Voyez-vous, ma femme est du signe du Rat, alors autant vous dire que je suis devenu un expert de ces adorables bestioles. Ce sont des créatures calculatrices, très malignes, quelque peu fourbes, toujours à l’affût d’un bon morceau de fromage, et non je ne suis pas en train de parler de ma chère et tendre, cessez ces sous-entendus. Bref, je sais tout sur les rats, en plus j’ai vu Ratatouille 27 fois, j’étais donc tout désigné pour me coller à la critique de Les Rats de Wistar, le nouveau jeu de Simone Luciani chez Intrafin.

Minus et Cortex partent à la campagne

Comme son nom l’indique, le jeu vous invite à montrer qui c’est Raoul au sein d’une colonie de rats surdoués de la récup’ : cinq manches pour récupérer des ressources, agrandir votre campement, déployer d’autres rongeurs à votre solde, explorer la maison des humains d’à côté et leur sous-sol, et bricoler tout un tas d’inventions à la Géo Trouve Tout. Ça a l’air peu dit comme ça, surtout qu’il faudra composer avec uniquement trois ouvriers tout au long de la partie, mais Rats of Wistar est de ce genre de jeux qui proposent de jolis effets boule de neige à qui aura su prendre le rythme. Quant aux autres ? Ils risquent de souffrir et de trouver le temps extrêmement long.

Le jeu demande en effet régulièrement d’anticiper nos prochaines actions, et d’optimiser leur enchainement. Première originalité, la puissance d’une action principale est déterminée par le nombre de tranches de pain de mie (avouez, la ressemblance est troublante) qu’on aura déployé dans la zone de l’action, sous-sol, sous-bois ou habitation humaine. Et ces pains de mie, ils ne sont qu’au nombre de deux au départ, même s’il est recommandé d’en débloquer d’autres par la suite. Evidemment il est possible de les déplacer d’une zone à l’autre, avant ou après l’action principale, mais les points de déplacements sont une denrée rare qu’il faut économiser. Il faut donc en permanence réfléchir comment tirer profit de leur présence avant de les changer de zone, quand procéder à leur migration, comment en déployer d’autres.

Tourne, tourne, petit rongeur

L’autre particularité, c’est que les emplacements pour nos rats ouvriers sont mouvants : tout est géré par une roue qui tourne d’un sixième à chaque début de manche, ce qui va modifier le nombre d’emplacements disponibles pour chaque action principale, ainsi que les actions bonus associées. Lorsque qu’il y a trois spots pour l’action de récolte ou de construction de chambre, c’est tranquille, surtout qu’un joueur ne peut se placer qu’une seule fois sur chaque action principale. Lorsqu’il n’y a qu’un emplacement, c’est tout de suite la guerre et les nervous breakdowns comme on dit dans le Bouchonois. Vous rajoutez à cette gymnastique la fameuse question de l’œuf ou de la poule (je débloque d’abord de nouveaux rongeurs, ou je creuse plutôt les pièces qui accueilleront leurs chambres ?), les différents badges à obtenir pour scorer des objectifs, réaliser des missions ou bricoler des inventions, et vous obtenez du jonglage épreuve olympique.

Heureusement, les actions gratuites sont là pour alimenter les combos et mettre de l’huile dans les rouages, et il est assez satisfaisant de déclencher l’action qui permet d’enfin engranger toutes les récompenses qu’on visait depuis trois tours, sans parler de la mine déconfite de nos adversaires. On explore la maison, pose une carte trouvaille, réalise une mission, puis un objectif, ce qui nous donne une action bonus sympathique, le tout en déplaçant notre piétaille dans un ballet gracieux. On est dans la zone, et tout semble s’enchainer naturellement, le sentiment est grisant. Je suis nul à Barrage, mais il parait qu’on y retrouve le même genre de sensations.

Tu sais ce qu’elle te dit, la rouetourne ?

Et puis il arrive que tout aille de travers, et qu’on ait le sentiment d’être en permanence à contre-temps. Clairement, la mécanique de roue d’actions est celle qui demande le plus d’efforts pour préparer les manches qui suivent, avec des actions bonus qui sont parfois idéalement corrélées aux actions principales, et d’autres fois complètement disjointes. Il faut alors savoir se tourner vers un autre pan de notre développement de colonie, ce qui amène vers un autre écueil : il y en a beaucoup et on ne peut évidemment pas tout faire. Certains disent qu’on ne peut pas réussir sans explorer, d’autres cartonnent très bien sans, la réalité est que toutes les stratégies se valent plus ou moins, tant qu’on ne perd pas de temps pour l’exécuter. Plus facile à dire qu’à faire.

Attention donc à la frustration, le jeu aura tôt fait de se transformer en un long chemin de croix si vous n’arrivez pas à trouver le rythme dans l’enchainement des actions. Les missions demandent des badges qu’on n’a pas, les ressources ne sont jamais assez suffisantes, on gaspille des mouvements pour pas grand-chose, les objectifs ou les emplacements nous passent sous le nez, on visualise les rouages mais tout semble terriblement rouillé. Il serait dommage de mettre le jeu à la poubelle à cause d’une mauvaise expérience pour autant : il fonctionne très bien et les différents axes de développement sont plutôt équilibrés, il y a tout à fait moyen de prendre des points ailleurs si quelqu’un se précipite sur les ressources ou sur l’exploration avant vous. Ou même sans être premier joueur de toute la partie. Bref, il vaut le coup qu’on s’accroche et qu’on se frotte à la courbe de progression légèrement pentue. Même si les autres joueurs seront toujours là pour faire rien qu’à nous pourrir notre expérience de jeu.

Terrier tout confort, magnifique vue sur les égouts

La bonne nouvelle, c’est qu’avec un solo aussi solide que celui de Rats, plus besoin de subir les râleries de Jean-Michel et les gestes brusques de Jean-Pascal, qui manque à chaque fois de renverser son lait fraise quand il va pour prendre une carte. Juste vous, le bot, et quelques cartes pour gérer la difficulté, l’exploration et les actions de ses méca-rongeurs. Même si celles-ci sont aléatoires (dans une certaine limite, le nombre de cartes n’est pas infini), les bonus que le bot est susceptible de vous voler sous le nez sont eux planifiés, et avec logique, ce qui permet d’anticiper, de temporiser aussi, de prioriser sa stratégie, à l’instar de ce qu’on peut faire lors d’une partie avec de vrais joueurs. Bref le solo est une belle réussite, le designer Mauro Gibertoni a fait du beau travail pour garder les sensations de l’expérience multijoueur, tout en proposant une échelle de difficulté beaucoup plus fine que ce qu’on trouve habituellement.

Les jeux de pose d’ouvrier, ce n’est pas ce qui manque dans le paysage platéoludique (oui parfaitement, platéoludique), et on a parfois l’impression d’avoir fait le tour. Et puis de temps en temps, on tombe sur un jeu qui propose un petit twist qu’on ne connaissait pas, ou qui trouve le bon équilibre fun/complexité même si la formule est vue et revue. Rats fait un peu tout ça, et sans révolutionner le genre, réussit très bien ce qu’il entreprend. Si en plus vous rajoutez des illustrations très agréables avec un choix de couleurs bucolique, et un solo carrément solide, vous obtenez un jeu avec certes un potentiel de crispation bien réel, mais qui saura se faire une belle place dans de nombreuses ludothèques.

Disponible ici :

Prix constaté : 54 €

Test : Knarr

Test : Knarr

Knarr est un jeu surprenant qui nous sort de nos habitudes de consomma-joueur. Il se glisse dans une petite boîte pour un jeu plutôt costaud ; se revêt d’un thème viking mais sans violence, ni pillage ; propose des choix tactiques et stratégiques volontairement réduits mais sans qu’il soit si abordable que ça.

Elle a tout d’une grande

La boîte de Knarr est de la même taille que celle de Très Futé (j’ai vérifié). Pourtant une fois le matériel installé, on a pas l’impression d’avoir affaire à un “petit” jeu. J’aime beaucoup le soin apporté à certains détails. Les cartes sont rangées dans des étuis cartonnés et les plateaux personnels possèdent trois encoches de chaque côté pour accueillir les jetons. Un moyen visuel très malin pour nous rappeler le nombre maximum de chaque ressource. Seul regret, la piste de renommée qui, une fois les pions posés dessus, n’est pas très lisible.

Les illustrations, quant à elles, sont juste magnifiques notamment les portraits de vikings qui sont en plus assez nombreux ainsi que les dos des cartes qui reprennent très joliment l’esthétique nordique.

Course de Knarr

“Knarr” c’est le nom d’un bateau. Contrairement au drakkar, celui-là était plutôt consacré au commerce. C’est une des originalités de Knarr, si on va se faire viking (c’est à dire prendre la mer pour faire des sous), on va moins se concentrer sur le pillage de monastères et aller faire ce que les hommes du nord faisaient aussi très bien, explorer et commercer.

Le jeu nous propose de la gestion de cartes et de ressources. A son tour, deux actions possibles : recruter ou explorer.

Recruter équivaut à poser une carte “viking”, on récupère alors la ressource associée ainsi que les ressources de TOUTES les cartes “viking” déjà posées devant nous à condition qu’elles soient de la même couleur que notre carte. Ensuite, on récupère en main une nouvelle carte ‘viking’ dans une pioche ouverte selon certaines contraintes que l’on peut ignorer en payant une ressource.

Explorer nous permet de récupérer une carte “exploration” qui va nous donner des bonus immédiats et venir augmenter le nombre de ressources récupérées quand on fait du commerce. Les cartes “exploration” se payent en carte viking, les plus chères sont de grosses sources de points de victoire.

La fin du jeu se déclenche dès qu’un joueur a atteint 40 points de victoire et c’est, bien sûr, celui qui en a le plus qui gagne. C’est donc une course et tout le sel du jeu est là. Il faut réussir à déterminer quand il est plus profitable pour nous de casser notre longue suite de vikings verts ou violets pour aller explorer. Même si le calcul est rendu plus complexe en raison de quelques mécaniques annexes comme la piste de renommée qui, une fois montée, offre des points de victoire à chaque tour, les ressources ‘recrues’ qui permettent d’explorer pour moins cher et le commerce, une action bonus qui demande une ressource spécifique pour être utilisée.

Bla Bla Knarr

Knarr a un aspect que j’aime bien mais qui peut déplaire, il ne se laisse pas apprivoiser facilement. On comprend ce qu’on nous demande mais les stratégies d’optimisation ne m’ont pas paru si évidentes à trouver lors de mes premières parties. C’est probablement pour ça qu’il offre rapidement les sensations d’un jeu plus “lourd” mais il ne faut pas s’attendre à une si grande profondeur. Le hasard est capricieux et peut rapidement compliquer une partie (surtout avec une mauvaise main de départ). Il n’y a pas non plus des milliers d’actions possibles surtout quand on cherche l’optimum. Plus on joue, plus on résout facilement les dilemmes et les coups deviennent de plus en plus évidents. Même si – c’est le bon côté du hasard – la possibilité de coups opportunistes maintient notre attention en éveil.

Il ne faut pas non plus s’attendre à un jeu de confrontation. Il n’y a pas d’interaction directe même si nous sommes clairement en compétition sur les cartes. C’est d’ailleurs pour ça que je le trouve plus agréable à deux. Les coups d’un seul adversaire étant facilement anticipables.

Petit mais costaud ?

Je suis heureux de voir que l’éditeur de Sea Salt & Paper continue de faire des boîtes juste assez grandes pour le matériel qu’elles contiennent. Ça ne les empêche pas d’ailleurs de nous offrir du contenu classieux et des illustrations de qualité. Pour autant, il ne faut pas prendre Knarr pour un jeu expert miniature. Une fois qu’on a compris que l’on ne fera pas des dizaines de parties avant d’en découvrir toutes les stratégies, l’expérience de jeu est très plaisante.

Knarr nous offre, avec beaucoup de réussite, notre dose de réflexion et de dilemmes tactiques. Il ne deviendra pas votre jeu de chevet mais sortira de temps en temps, notamment à deux. Je veux jouer à du lourd, ma femme ne se sent pas de faire une partie d’une heure et demi, Knarr semble être un bon compromis.

Disponible ici :

Prix constaté : 20 €

Test : Spirit Island extension Terre Fracturée

Test : Spirit Island extension Terre Fracturée

J’ai toujours été fan des comparaisons osées. Certes, des fois ça me pousse à révéler des secrets honteux, comme cette recette du cassoulet/huitres, que je ne détaillerai pas ici parce que je ne pense pas que le monde soit prêt. Mais avouez que, la plupart du temps, on comprend tout de suite de quoi on parle, et puis de toute façon vous n’avez pas le choix, c’est moi qui écris et vous qui lisez. Où en étais-je ? Ah oui, Spirit Island, et plus précisément la dernière extension sortie par Intrafin, Terre Fracturée. Croyez-moi ou non, mais découvrir Terre Fracturée après quelques parties du jeu de base, c’est comme s’apercevoir, après sué sang et eau pour grimper une petite corniche, qu’il y a tout un Mont Everest derrière. C’est terrifiant et exaltant à la fois. On a hâte de découvrir ce qui nous attend, toutes les nouveautés, comment on va aborder ces nouvelles difficultés. Et surtout, on a hâte de découvrir à quel point on va souffrir.

Pour rappel, retrouvez en cliquant sur l’image les critiques du jeu de base et de la 1ère extension :

Rengagez-vous qu’ils disaient !

Je ne vous ferai pas l’affront de rappeler en quoi consiste Spirit Island, nous sommes ici entre gens de bon goût. Je rappellerai juste que si le jeu de base offre déjà un puzzle d’un fort beau gabarit, avec ses notions de pouvoirs lents, pouvoirs rapides, ses éléments qui permettent de déclencher d’autres pouvoirs si on les combine correctement, ses adversaires et ses scénarios qui introduisent de nombreux twists dans le déroulé de la partie, voire carrément de nouvelles conditions de victoire ou de défaite, l’extension quasi obligatoire De Griffes et de Crocs vient compléter à merveille la proposition en introduisant les événements qui rajoutent un peu d’aléatoire, juste ce qu’il faut pour ruiner nos si jolis plans. Et quand on aboutit à un chef d’œuvre de gameplay, pourquoi vouloir absolument ruiner l’expérience en l’alourdissant ?

Sauf que l’idée de R. Eric Reuss est tout autre. Il ne s’agit pas ici de rajouter des couches de règles, des plateaux supplémentaires (même s’il y en a, avec des regroupements de régions qui génèrent des problématiques encore nouvelles) ou autre, mais plutôt de voir jusqu’où on peut tordre le principe même du jeu, jusqu’où on peut creuser dans le bac à sable qu’est Spirit Island avant de taper dans le béton. Et à en juger par le contenu extrêmement généreux de la boite, la mécanique de jeu est solide comme rarement, tant il est possible de la malmener sans la briser et perdre de vue ce qui rend ce jeu si incroyable. Ainsi, toute une ribambelle d’esprits plus étranges les uns que les autres viennent enrichir la collection déjà conséquente, des pouvoirs hyper différenciés et de nouveaux ennemis font leur apparition, et l’auteur se permet le luxe d’introduire les aspects, qui altèrent plus ou moins en profondeur les esprits présents dans la boite de base. Il s’agira des fois de corriger une faiblesse, ou de le rendre peut-être plus intéressant, mais le plus souvent le joueur devra repenser sa manière de jouer.

Same same, but different

Ainsi, lors de ma dernière partie, j’avais choisi d’expérimenter un nouvel aspect de l’esprit Jaillissement de la Rivière Etincelante, un esprit de la boite de base que je joue rarement, tout simplement parce que ses particularités ne me parlent pas plus que ça. Sa règle spéciale le fait considérer les régions marécages comme des sanctuaires, c’est intéressant parce qu’on peut se permettre d’éparpiller nos présences sans se fermer de porte en matière de pouvoirs. Mais c’est passif, et j’avoue préférer les esprits qui demandent de jongler avec plusieurs paramètres, qu’ils soient complexes ou non d’ailleurs. L’aspect « voyage » de cet esprit vient tout bouleverser, et ce juste en modifiant quelques lignes : ce ne sont plus les marécages qui sont automatiquement considérés comme des sanctuaires, mais les régions dans lesquelles il y a quatre Dahans ou plus, il revient alors au joueur de déplacer ses Dahans au début de chaque phase de croissance pour tirer parti de cette capacité. Tout d’un coup la complexité augmente, un troisième étage se rajoute au puzzle pouvoirs lents/pouvoirs rapides et le joueur devient beaucoup plus actif dans la gestion de l’esprit. Brillant.

C’est brillant, mais on reste sur du classique : certes les aspects permettent de renouveler l’approche des esprits existants, mais les mécaniques en jeu restent celles de la boite de base. Les nouveaux esprits, eux, changent carrément la donne. Je ne vais pas tous les lister, parce qu’ils sont tous plus étranges les uns que les autres et qu’ils mériteraient tous un article à part entière. Je vais juste en évoquer deux. Le premier vous amène à incarner l’esprit d’un volcan, et c’est l’un de mes préférés tant il est thématique. D’ailleurs il s’appelle Volcan Dominant l’Île, ça annonce la couleur. Un volcan, ça ne bouge pas, alors vos présences seront cantonnées aux régions montagneuses, et elles vont s’empiler forcément. Un volcan, ça fait monter la pression jusqu’à l’explosion, et vous aurez ainsi l’opportunité, au bout de quelques manches, de sacrifier vos présences pour infliger des dégâts monstrueux à tout le voisinage. Comme un volcan, voilà. On a donc un esprit résolument déséquilibré, qui abandonnera complètement certaines régions, mais qui possède une énorme de frappe si on survit jusque-là.

Maitre Reuss sur un arbre complètement perché

C’est le genre d’audace de gameplay qui me réjouit grandement, et Lueur Etoilée Cherchant sa Forme pousse le bouchon encore plus loin. Genre, dans l’espace. En lisant sa fiche, on réalise encore une fois à quel point ce jeu est hyper modulable, et rejouable à l’infini. La plupart des esprits demandent de choisir entre plusieurs options de croissance prédéfinies, comme gagner un pouvoir, poser une présence, récupérer les pouvoirs de sa défausse, et ainsi de suite. Lueur Etoilée invite lui le joueur à définir tout au long de la partie quelles seront les options de croissance qui lui seront offertes, quels pouvoirs innés il va régulièrement jouer, et évidemment il faudra faire des choix et écarter d’autres possibilités qui avaient l’air tout aussi réjouissantes. C’est l’esprit adaptable par excellence, et pour quelqu’un qui connait bien le jeu, il permet a priori de gérer n’importe quel adversaire, n’importe quel partenaire, n’importe quelle configuration. Sans parler de la rejouabilité, énorme, puisque lors d’une prochaine partie, on pourra tout à fait choisir d’emprunter un autre chemin de progression, parmi 16 possibles.

N’allez pas non plus penser que les esprits que j’ai passé sous silence sont moins intéressants, au contraire, il y en a pour tous les goûts, y compris les plus bizarres. Gestion de la temporalité, pouvoirs aléatoires, dégâts qui ne disparaissent pas d’une manche à l’autre, focus sur les éléments, chaque esprit de Terre Fracturée propose un challenge original et intéressant. Evidemment, l’extension vient également avec son lot de scénarios et surtout d’adversaires, qui proposent des puzzles différents, qui vont mettre l’accent sur la gestion des constructions, ou bien renforcer la défense des villages, et ainsi de suite. Cela oblige la plupart du temps à sortir de son schéma classique de gestion des envahisseurs, et l’échelle de difficulté très fine permet de se concocter un défi aux petits oignons. D’ailleurs, une fois qu’on y a goûté, aux adversaires, pas aux oignons, suivez un peu, il est difficile de retourner à une configuration sans, qui parait en comparaison un peu trop directe et même simple.

Venez, n’ayez pas peur…

Simple, Spirit Island ? D’accord, le mot est fort, et sans doute faux. Mais j’ai choisi en rédigeant cet article, de m’adresser à une toute petite niche, celle des joueurs qui ont osé franchir le pas et ouvrir la boite de Spirit Island, et qui ont aimé ça, et qui ont eu envie d’approfondir le concept et de se mesurer à plus dur, plus complexe, plus bizarre. A ces gens-là, je leur dis sans détour, foncez, c’est de la boulette. Et pour tous les autres ? Croyez-moi, j’aimerais écrire que n’importe qui peut jouer à Spirit Island, parce que le jeu n’est pas si compliqué à expliquer, et que les actions entreprises par les joueurs ont des conséquences souvent immédiates. Mais je sais que certains resteront complètement réfractaires. Et pour ceux qui n’ont pas encore essayé, je ne peux que leur conseiller de se mesurer à la boite de base, et s’ils ne sont pas parti en courant, de découvrir la richesse de Terre Fracturée. On atteint là l’un des summums de l’expérience solo ou coopérative en jeu de société.

Disponible ici :

Prix constaté : 63 €