Test : Chronicles of Drunagor : Age of Darkness

Test : Chronicles of Drunagor : Age of Darkness

Certains passent des années à chercher LA montre parfaite, le meilleur tournevis six-vitesses ou encore le rouleau à pâtisserie de leurs rêves. Je ne juge pas. Et puis il en y a qui cherchent le dungeon crawler qui comblera toutes leurs attentes. Petit rappel pour ceux qui ne vivent pas dans une grotte, les dungeon crawlers offrent le plaisir incomparable d’explorer les couloirs humides et malfamés d’un univers d’heroic fantasy à la recherche de trésors et d’artefacts légendaires, en trucidant l’entière population de Monstreville au passage. C’est donc un genre très spécifique de jeu de plateau, mais qui a toujours eu ses fans : le 1er Descent a été publié en 2005, et les tous premiers jeux à mettre en place le concept datent des années 80. Avance rapide en 2022, l’offre est devenue pléthorique : Descent en est à sa 3ème édition, Gloomhaven a fait un carton sur Kickstarter et on entrevoit son successeur Frosthaven, et chacun a maintenant son titre fétiche qu’il défendrait bec et ongles. Le mien, c’est Chronicles of Drunagor : Age of Darkness (mais il aime bien qu’on l’appelle juste Drunagor).

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Ndlr : Thibault a participé à la traduction des règles, en accord avec l’éditeur. Voici un lien vers trois Google Docs : l’Adventure Book (intros et fins de chapitre), l’Interaction Book, et l’ensemble des portes de la campagne; et le livret de règles au format pdf. Et suite à la critique de Thibault, nous avons eu la confirmation par Intrafin qu’ils s’occupent bien de la localisation actuellement, mais cela prendra du temps ! ^^

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Il était une fois, en 2019

Drunagor est issu d’une campagne Kickstarter menée par le studio Creative Games Studio en novembre 2019 avec une certaine réussite (500k€ récoltés pour 40k demandés). Derrière on retrouve les auteurs Daniel Alves et Eurico Cunha, et les artistes Marcela Bastos et Eduardo Cavalcante, avec une promesse ambitieuse : une vingtaine de héros jouables, une campagne épique d’une quarantaine d’heures, 4 extensions plus ou moins longues, une quinzaine de monstres, des niveaux en 3D, il y a de quoi faire et du matériel pour remplir 3 boites. La livraison était prévue pour février 2021 et tout le monde a bien rigolé, surtout quand une pandémie mondiale nous est tombée sur le coin du nez. Et puis les jeux ont été effectivement livrés début 2021, et soudain plus personne ne se moquait. Nous étions trop occupés à en prendre plein les yeux.

J’évacue très rapidement les deux modes alternatifs qui n’apportent pas grand-chose : la possibilité de jouer les chapitres de la campagne en mode « one-shot » avec un système de montée en compétence/équipement pendant le chapitre qui ne fonctionne pas très bien – on finit assez rapidement par rouler sur le jeu ; et la possibilité d’affronter un autre joueur sur des cartes dédiées. Voilà, ça, c’est fait, passons plutôt au cœur du jeu.

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Mon royaume pour un d20

Voici donc un dungeon crawler – uniquement en VO mais avec une traduction Française fanmade –   qui propose une campagne pour 1 à 5 joueurs, à partir de 14 ans (ce qui me parait tout à fait correct), et composée de 18 chapitres, chaque chapitre prenant entre 2 et 3 heures pour en venir à bout. De manière assez classique, chaque joueur choisit son personnage mais aussi son rôle (défenseur, attaquant, soutien, etc…) et l’assemblée s’embarque dans une aventure qui la fera voyager à travers les paysages glacés de Hel, les mines du Roi des Nains ou les terres Draconiennes d’Ignyspira. Le jeu s’adapte plutôt facilement à la taille du groupe (même si je recommanderai un groupe de 4-5 joueurs) en jouant sur le nombre et le niveau des monstres à affronter. Il est donc aisé d’ajouter ou d’enlever un participant en cours de campagne. C’est d’ailleurs l’un des maitres mots du jeu, la simplicité : pas de ligne de vue à gérer, un seul d20, une initiative fixe, une IA des monstres hyper basique et une montée d’eXPérience automatique et rythmée par la narration. Comme si les auteurs avaient passé en revue leurs dungeon crawlers préférés et avaient trié : « Ça on garde. », « Ça on jette très très loin. ».

Mais ce n’est pas pour autant que le jeu est simpliste. Certes, les monstres vont se contenter de cibler le personnage avec le plus de points de vie ou tenter de maximiser le nombre de cibles qu’ils peuvent atteindre. Et, comme déjà évoqué, il n’y a pas de ligne de vue. Mais le gameplay est au final plutôt malin : quand vient son tour, le joueur peut se déplacer et effectuer deux actions, qui consistent à activer l’une de ses capacités à l’aide d’un cube de couleur adéquat. Chaque couleur de cube correspond à une portée : jaune pour la mêlée, rouge pour la distance, etc…, et cette gestion de la distance remplace avantageusement les calculs alambiqués de qui voit qui. Il y a également une gestion de l’attrition qui n’est pas sans rappeler Gloomhaven : la capacité utilisée devenant indisponible une fois le cube posé, il faudra attendre d’avoir récupéré tous ses cubes pour pouvoir l’utiliser de nouveau. Et comme on a que 5 cubes au début de l’aventure, le moment fatidique survient rapidement, avec son cortège de cubes noirs « maudits » qui viennent bloquer une capacité au choix jusqu’à ce que le joueur arrive à s’en débarrasser (ou finisse par y succomber). Et il y a donc des contraintes, mais il est possible d’en jouer, et cette flexibilité rajoute au plaisir.

Le plaisir est l’autre grand mot que les auteurs avaient dû entourer vigoureusement lors de leurs séances de brainstorming. Plaisir de manipuler des figurines d’une qualité très correcte et de feuilleter des illustrations magnifiques. Plaisir de jouer de véritables héros capables de prouesses légendaires. Plaisir de se balader dans un environnement en 3D, avec une gestion de la verticalité. Plaisir de découvrir l’histoire petit à petit, avec des portes (en papier glacé) que l’on doit ouvrir (déplier) pour connaitre la suite du chapitre, mais aussi avec des interactions qui nous font rencontrer des personnages hauts en couleurs via une petite séquence de Livre dont Vous êtes le Héros. Plaisir de faire progresser son personnage à chaque fin de scénario, en gagnant de l’équipement, des capacités ou des améliorations passives liées à sa classe (Paladin, Sorcier, Guerrier, Assassin, etc…).

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Il n’y a pas grand-chose de pourri dans le monde de Daren

Tout n’est pas parfait cependant. Tout d’abord, il est clair qu’il a manqué du temps aux auteurs pour finir la relecture et plusieurs fois l’histoire – purement linéaire, on est loin d’un Tainted Grail ou même d’un Gloomhaven – connait quelques hoquets, entre la clé obtenue de haute lutte qui n’ouvre rien ou le titre (un statut permanent) acquis pendant un précédent chapitre et plus jamais utilisé. Les interactions sont également un peu décevantes, avec des résolutions improbables ou injustes et des récompenses vraiment maigres. On peut également citer un faible nombre de monstres, ce qui donne le sentiment de toujours affronter les mêmes, et un niveau de difficulté mal équilibré : si l’on respecte le nombre de joueurs et la mise en place standard, c’est trop facile, si on utilise le mode « Darkness » (disponible sur un site Internet via un système de QR Codes) la marche devient trop haute pour le groupe qui n’a pas optimisé chaque personnage. Le système est là, le gameplay fonctionne très bien, mais le jeu n’en exploite pas toute la richesse.

La bonne nouvelle, c’est que la plupart des retours ont été pris en compte par Creative Games Studio, qui a profité de la campagne GameFound pour l’extension Apocalypse pour proposer une réécriture de la 1ère campagne : nouveaux scénarios, nouvelles interactions, nouveau butin plus pertinent et plus immersif, nouveaux comportements des monstres, nouvelle difficulté, et quelques petits ajustements dans les règles pour rendre l’expérience plus intense et en même temps plus fluide. Le module Tabletop Simulator officiel et des fichiers Print ‘n Play permettent de mesurer le travail réalisé pour les 6 premiers chapitres. C’est un nouveau Drunagor et il a la classe avec ses lunettes de soleil et son cuir. Quant à l’extension Apocalypse, elle introduira de nouvelles classes, tout un tas de nouveaux monstres et quelques ajouts de gameplay (avec notamment la possibilité d’utiliser le mobilier à notre avantage). C’est également la suite de l’histoire et certains hauts faits accomplis pendant la 1ère campagne auront leur répercussion dans la suivante.

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Une mort certaine. De faibles chances de succès. Mais qu’attendez-vous ?

Les Dungeon Crawlers, c’est comme les sous-vêtements : chacun a sa préférence et, en la matière, les goûts et les couleurs ne se discutent pas vraiment. Néanmoins, certains (les DC, pas les sous-vêtements, suivez un peu) concrétisent évidemment mieux leurs intentions que d’autres. Drunagor se voulait fun, riche, immersif et malin, et force est de constater que le pari est réussi. Les personnages ont une classe folle, avec des approches bien différentes et chacun ses talents, et donnent envie de tous les essayer. Le système de jeu est immédiat, facile à prendre en main, mais propose également un challenge très satisfaisant. La puissance de feu des monstres oblige à l’entraide, et chacun aura assez naturellement son quart d’heure de gloire. L’emballage est tout à fait plaisant même si l’univers reste très classique. L’histoire n’a évidemment pas le souffle épique d’un Tolkien, mais change agréablement des ambiances ultra glauques en vogue et se dévoile avec plaisir, que ce soit via les interactions, les portes à déplier ou les introductions et conclusions de chaque chapitre.

Et surtout, il y a beaucoup de gourmandise : une dizaine de classes différentes à tester et même à associer, le double de personnages, de l’équipement à foison et suffisamment de capacités à débloquer pour ne pas pouvoir en faire le tour en une seule campagne. Cette générosité dans la récompense nourrit l’envie de faire évoluer son personnage et joue beaucoup dans le désir de continuer la campagne.

La conséquence évidente de cette profusion de contenu, c’est la place prise par le jeu (comptez une bonne case de Kallax) et le prix, ce qui en fait un vrai jeu de niche. Mais pour les joueurs qui ne jurent que par le sacrosaint d20, Creative Games Studio a brillamment gagné ses galons avec Chronicles of Drunagor : Age of Darkness, et la seconde campagne de financement – via GameFound et toujours accessible aux late pledges – a été l’occasion de mettre les petits plats dans les grands : en plus du reprint (et de la réécriture) d’Age of Darkness et des deux nouvelles aventures d’Apocalypse, des localisations en français (assurée par Intrafin), espagnol et allemand ont été annoncées. L’occasion, peut-être, de voir apparaitre le jeu en boutique l’année prochaine et de mettre la main sur un fier représentant de ce genre si particulier.