Test : Sagrada Artisans

Test : Sagrada Artisans

L’avis de Kmylle Muzo :

Sagrada est un (excellent) jeu de placement de dés sorti en 2017. Je crois que je peux dire que c’est l’un des rares jeux que j’ai poncés en large et en travers. De nombreuses petites extensions sont sorties, amenant de nouveaux vitraux, dés, outils, etc., mais je leur reproche d’avoir apporté dans leur sillage de la complexité là où le jeu de base dispose d’un gameplay d’une pureté de cristal.

Parallèlement, si je possède une belle quantité de jeux legacy, je n’en ai pour le moment fini aucun, je me lasse rapidement. Je craignais donc la grosse machine à gaz qui dénature le jeu et le complexifie ad nauseam. Eh bien j’ai été très agréablement surprise par ce Sagrada Artisans, et je vais tenter de vous donner mon ressenti en minimisant les spoilers.

La mécanique originelle magnifiée

Sagrada est clairement l’un de mes jeux favoris de tous les temps. Il allie draft de dés et puzzle game ce qui le rapproche beaucoup des roll’n write que j’affectionne particulièrement. D’accord, il n’apporte aucune interaction directe, chacun joue dans son coin pour compléter au mieux son vitrail avec les résultats des dés, mais, personnellement, j’adore ça.

Sagrada Artisans reprend totalement la mécanique de son aîné, à part pour les dés qui ne sont plus placés au fur et à mesure sur les vitraux mais dont le résultat est écrit avec leur couleur (Quand je disais que Sagrada était un roll’n write et qu’on se moquait de moi, voici ma vengeance.). Chaque couleur de dé est présente en deux exemplaires, on en pioche au hasard dans un sac une quantité qui dépend du nombre de joueurs, on les lance et ils sont ensuite placés sur le plateau de cathédrale dont l’utilité sera révélée au cours de la campagne.

Les joueurs disposent d’un dossier personnel qui les suivra tout au long de la campagne. Elle comprend dix scénarios, chacun avec une grille de vitrail différente. Le dossier du joueur renferme de nombreuses surprises que je ne vais pas gâcher ici, mais j’ai trouvé qu’il était très bien utilisé.

Un vrai legacy ?

Oui, Sagrada Artisans est 100% un jeu legacy. À l’instar d’un Pandemic legacy, on colle des autocollants sur des éléments du jeu, on en détruit, on écrit sur le matériel et chaque vitrail n’est réalisable qu’une seule fois. On ouvre des enveloppes, on découvre des choses planquées dans la boîte, on jette des cartes, bref, on va de découverte en découverte. Du coup, je préfère clarifier les choses : on ne pourra pas refaire la campagne, sauf en rachetant un autre jeu.

Le système legacy est vraiment bien mis à profit dans le jeu. Des règles sont rajoutées au fur et à mesure mais elles n’alourdissent pas le jeu et ne le dénaturent pas. Le dossier du joueur révèle ses richesses petit à petit et sa mise en page est pratique. Une partie dure toujours douze manches, il n’y a pas d’ajout de phases ou de temps morts, le jeu reste smooth. J’ai joué à 2 et 3 joueurs, la partie se tient en une heure environ, ouverture des enveloppes en fin de scénario comprise, du coup il est facile à sortir. Les dix parties passent en un éclair !

Un matériel foisonnant sans être too much

Côté matériel, je salue la très bonne qualité des éléments du jeu, que ce soit le dossier du joueur, les dés, crayons et autres autocollants, ainsi que la belle ingéniosité pour planquer des éléments un peu partout dans la boîte. Par contre, qu’est-ce que c’est que ce crayon violet qui est en fait bleu foncé et ne correspond pas du tout à la couleur imprimée sur les vitraux ?!

Alors oui, le jeu n’est pas donné, environ 70 euros (ndlr : 62.90€ chez notre partenaire Golden Meeple), eh oui, comme c’est un vrai legacy, pas de possibilité de rejouer la campagne une fois terminée. MAIS ! La boîte contient un bloc de vitraux supplémentaires pour prolonger le plaisir. Et si vous êtes comme moi un afficionado des roll’n write, un petit coup de plastifieuse sur ces feuilles et le tour est joué !

Pour conclure, si vous aimez Sagrada, foncez, vous ne serez pas déçu. Si vous ne connaissez pas le jeu originel, essayez-le quand-même avant car il peut ne pas plaire à tout le monde. Côté complexité, on serait sur un initié lourd ou un expert léger, donc à ne pas mettre entre toutes les mains, seulement celles des élus qui pourront contribuer à bâtir la Sagrada Familia.

L’avis de Romain B. :

Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas rejoué un jeu Legacy. Sagrada est un jeu de mon paysage ludique depuis longtemps, un de ces jeux qu’il est toujours plaisant de sortir sans pour autant y jouer souvent, un jeu de ma ludothèque en résumé.

Ce Sagrada artisans est rentré dans mon focus, et l’occasion se présentant avec l’accès au jeu moins cher chez Matagot (pour les influenceurs) et le fait de ne pas y avoir joué depuis quelque temps m’ont motivé à me lancer. Je tiens à préciser tout cela, je n’attendais pas le jeu et comme je le répète : jeu hypé, jeu en danger. Cette fois, ce n’était donc pas le cas et cela a peut-être amélioré mon jugement.

Le jeu m’a totalement plu dès l’ouverture de la boite. Comme un œil habitué repère déjà des choses à découvrir, mon envie est vite montée.

Côté gameplay, ce Sagrada a pris l’ascenseur pour gagner quelques niveaux de complexité. Il vous faudra bien plus de réflexion pour venir à bout des 10 vitraux de la Sagrada Família sans casse. Le jeu garde ses mécaniques de base, mais tout le versant Legacy va venir y ajouter de nombreux éléments additionnels qui vont vous permettre de ne pas sombrer si le niveau devient un peu trop élevé.

Quelques vitraux m’ont semblé bien retords et même frustrants une fois terminés, avec une envie d’y retourner, de le jouer différemment, mais on se heurte au legacy qui ne le permet pas. Mais attendez, j’y reviens plus tard.

On avance donc dans cette création de la Sagrada Família, on débloque des outils, des bonus, des enveloppes ! Les fameuses enveloppes que tout legacy nous propose, je tiens à le dire ici : LISEZ CHAQUE ENVELOPPE AVANT DE COMMENCER À JOUER.

Il n’y a pas plus frustrant que d’en louper une et de le remarquer à la fin de la campagne. Oui, ça m’a bien frustré.

Au final, j’ai dévoré ce Sagrada Artisans, 2 vitraux par soirée, et donc en un peu plus d’une semaine, c’était terminé. J’en ressors heureux de l’expérience. J’ai même pris le temps de colorier tout mon carnet autour des vitraux. Comme un bon livre de mandalas, c’était des plus agréables et zen. 

Mais c’est tout ? 70 euros pour 10 parties ? Non ! Une fois cette campagne terminée, vous pourrez vous lancer dans un carnet de vitraux inclus dans la boite. Il reprend tous les vitraux de la campagne et d’autres encore plus alambiqués ! Une nouvelle chance de jouer les vitraux de la campagne pour les optimiser au mieux.

24 vitraux en 4 exemplaires chacun, ce qui promet de jouer encore quelques parties. Il est également précisé que ce carnet est le premier de la série et d’autres seront disponibles par la suite.

Une bien belle version legacy que nous propose ce Sagrada, le prix est quelque peu prohibitif, mais je ne regrette rien une fois cette campagne terminée ! C’est pour moi le seul point faible du jeu, avec ce principe de legacy qui peut être clivant, trouver les joueurs, les réunir de partie en partie… Je signale que je l’ai joué à 2 et que le jeu fonctionne très bien dans cette configuration.

C’est du tout bon pour moi, si Sagrada vous plait, vous pouvez foncer !

Disponible ici :

Prix constaté : 62.90 €

L’édito du Labo #5 – Les éléments de langage des influenceurs

L’édito du Labo #5 – Les éléments de langage des influenceurs

Ça faisait quelques mois que j’y pensais régulièrement, et le FIJ venant de se terminer, ça a accéléré de finir de coucher à l’écrit ce texte que j’intègre dans nos éditos mensuels. Résultat d’observations de ma part, d’étonnements, de questions devant les différents posts, les vidéos, les comptes insta, les tweets etc. Pourquoi tant de ressemblance ? Pourquoi, au final, le sentiment de lire/voir peu ou prou la même chose ? Le monde du jeu transpire la fausse bienveillance, et il était temps que les abus de langage des autres milieux ne le rattrapent. On me dit dans l’oreillette que ça fait déjà quelques temps que c’est le cas, et qu’il est temps que je me réveille. Soit.

ndlr : les images sélectionnées pour illustrer les éléments de langage ne sont un rien un jugement sur un contenu de la part de ces influenceurs, et servent uniquement à illustrer l’expression décrite dans le paragraphe.

Le jeu tourne bien

Je commence par cette « belle » expression. Ça veut tout et rien dire en même temps, c’est magique. C’est pourtant tellement facile à sortir, ça en devient parfois un réflexe, ça meuble une conversation, gagne du temps entre 2 développements (ou aucun développement d’ailleurs), et surtout ça s’utilise à toutes les sauces. Je l’utilise aussi, je m’aperçois que ça vient souvent sans y penser vraiment. Alors t’en dis quoi de ce jeu ? Ouais ça tourne bien ! Et là normalement on est sensé attendre la suite. Qu’on explique pourquoi justement ça tourne si bien.

Demandons-nous un instant ce qu’est un jeu qui ne tourne pas. Je pense naïvement que c’est un jeu dont le déroulé se bloque à un moment ou un autre de la partie. Les mécas ne fonctionnent pas entre elles, l’équilibrage n’est pas bon, et à un moment plus ou moins avancé de la partie, plus rien ne fonctionne et on se retrouve littéralement bloqué. Un jeu pas fini donc, pas développé, bancal et tout ce que vous voulez. Logiquement ça ne passe pas le bureau d’un éditeur, ou les tests entre amis/famille/festivals.

Bref, le jeu qui tourne s’applique à 90% au bas mot de ce qui sort aujourd’hui. Pourquoi donc cette expression est-elle autant utilisée et se retrouve si souvent et presque partout ?

« Salut les amis !« 

Oui vos abonnés/lecteurs/viewers sont vos amis c’est bien connu. On me répondra que c’est pour la proximité, c’est le côté cool et proche. Je ne l’ai jamais compris puisque j’ai une définition du terme ami qui correspond pour commencer à quelqu’un que je connais et que je peux au minimum contacter directement par un outil maintenant dépassé, à savoir un appel téléphonique.

Mais pour construire sa communauté, il faut la cajoler, l’intégrer à son propos, et lui faire sentir son importance. D’où l’usage de ce terme « ami ». Pourquoi pas.

Ça me gêne un peu plus quand l’influenceur qualifie tous les auteurs et éditeurs d’amis. A un moment, soit on se définit comme un relais de communication de ces éditeurs et auteurs, soit on essaye de garder une certaine distance et relayer son propos et son ressenti, et non le communiqué de presse reçu par mail. Donc quand je vois « ce jeu de mes amis de (citez n’importe quel éditeur) », je me dis que l’influenceur partage des bières, barbecue, vacances régulièrement avec cet éditeur. Oui je sais, je suis naïf. Loin de moi l’idée que cet élément de langage est utilisé pour les cajoler, les intégrer à son propos, et/ou leur faire sentir leur importance…

Coup de cœur

Certainement le terme le plus galvaudé du monde de l’influence. C’est à se demander s’il a encore une valeur, tellement 2 tours d’un jeu expliqués par un éditeur en festival suffisent à provoquer ce coup de cœur, et à le relayer sur les réseaux. Certains influenceurs ont tellement de coups de cœur que cette profusion d’enthousiasme et de détection de jeux géniaux doit être épuisante pour un cœur humain normal. Mais encore une fois je fais certainement fausse route en pensant qu’avoir un coup de cœur implique d’être effectivement subjugué par un jeu, ne faire qu’y penser jusqu’à la prochaine partie, me refaire le déroulé de la partie pendant plusieurs jours, et n’avoir qu’une hâte c’est d’y rejouer. Et normalement ça ne fait pas ça à chaque jeu joué. Mais c’est de ma faute, plus je prends de l’âge, plus j’écris sur les jeux, plus je vois ce monde ludique, plus je m’écarte de cette route si facile à prendre. Les mots ont un sens, et je suis certainement un vieux con pour ça.

Je pense que l’important est que cette propension au coup de cœur soit mesurée, afin que, quand j’hurle au coup de cœur, on comprenne que ça en soit un pour moi, mais vraiment ! Et pas le coup de cœur de la semaine ou du mois, ce qui enlève tout le sens de cette expression.

Le drame des chiffres/abonnés/viewers

Je pense que la plupart des gens qui utilisent les mots à tort et à travers ne le font pas sciemment. Le monde numérique qui nous entoure récompense l’utilisation des mots impactants. Une vidéo dont la miniature n’est pas dans la norme, ni le titre ne comportant pas d’éléments forts et qui attirent l’attention recevra 10 ou 100 fois moins de clics que cette même vidéo avec un titre putaclic comme on dit. C’est les algorythmes et le cerveau humain qui consomme des vidéos et des posts insta qui veulent ça. On regarde plus la forme que le fond, et c’est fort dommage. N’allons pas sur le terrain d’instagram, d’autres en ont parlé et y ont laissé des plumes.

En tout cas, c’est devenu une sorte de système d’alerte pour moi. C’est même un répulsif au final. Je regarde déjà quels sont les éléments de langage utilisés, quelles images, quels termes, quelles couleurs. Quel est le message qu’on essaie de me faire passer en premier lieu ? S’il est trop chargé, trop impactant, ou que je flaire le putaclic… je ne clique plus.

J’essaie aussi d’épurer notre communication au Labo. Nous avons fait des tops comme tout le monde, nous avons abusé d’éléments de langage. Après toutes ces années, et surtout une fois que l’on sait ce qu’on veut et ce qu’on ne veut plus faire, il est plus facile de se l’appliquer. Mais je rajouterai que je n’ai pas de jeu à faire signer par un éditeur, ni envie de travailler dans le monde du jeu, ni besoin de mon blog pour vivre, et pas besoin des SP. C’est finalement peut être la meilleure position.

Allez tout ceci n’est bien sûr pas à prendre comme une distribution de bons ou mauvais points, et je nous inclus dans la réflexion. L’important est je pense de s’en rendre compte, et surtout de développer notre communication. Oui, le jeu il tourne bien, mais ça veut dire quoi pour toi finalement ?? ^^

Fabien.

Test solo : Heredity – le livre de Swan

Test solo : Heredity – le livre de Swan

« Heredity » est le premier jeu d’un nouvel éditeur, Darucat, du nom de son fondateur. Il est également le premier-né issu de la collaboration entre Jérôme Cance et Laurent Kobel, le tout superbement illustré par Tania Sánchez-Fortun, Aurelien Delauzun et Florian de Gesincourt.

Coopératif et narratif, ce jeu à campagne de cinq chapitres se joue de 1 à 4 survivants.

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Thierry l’ermite chez George Miller

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Et ils vivaient heureux. L’univers d’Heredity se situe en 2127, plusieurs décennies après que le monde est parti en sucette pour une raison que l’on ignore… À d’autres, bande de francs-maçons. Dans Heredity, vous incarnez une famille pensant évoluer dans un monde super mignon du fait d’un mode de vie en complète autarcie, coupé du monde extérieur. Cette famille verra son train de vie pacifique et paisible anéanti par un événement violent inattendu. Le but du jeu est d’évoluer sur une Map qui se dévoile en fonction de vos choix (qui nous rappellera ici le format d’un 7ᵉ continent ou d’un Cartaventura) et de survivre à ces derniers. À votre tour de jeu, vous devez choisir parmi quatre actions possibles. Vous avez le choix entre : observer, interagir avec un autre personnage (P.J ou P.N.J), effectuer une manipulation (saisir, crafter, foutre une mandale…) ou encore utiliser vos jolies gambettes (explorer, distribuer des kicks).

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Encore un jeu Point’N’Click !

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Pas faux… Mais pas que. Là où Heredity se détache mécaniquement d’autres jeux du genre, c’est par le concept de sa ligne du temps. En début de partie, lors de la mise en place, vous écarterez une carte, sobrement intitulée « Carte famille », à laquelle vous devrez associer (grâce à des icônes de chaînage) d’autres cartes Événement (possédant toutes un cartouche inférieur de couleur rouge) durant la partie. Comme dirait cette chère Axelle : À quoi ça sert ? Eh bien… À vous mettre la pression, dirais-je. De quelle manière ? De façon à ce que les cartes Événement que vous acquerrez pendant diverses actions viennent s’ajouter (toujours grâce au chaînage) à cette fameuse ligne du temps afin de former une rivière ponctuée d’événements. Quand ces évènements se déclenchent-ils ? Une fois la phase d’Action des personnages terminée, vous déplacerez un token sablier (lié à la Carte Famille en début de partie) de gauche à droite, pour déclencher les fameux événements (bande rouge) de chaque carte composant ladite TimeLine, jusqu’à revenir à la Carte Famille. Vous l’aurez compris, toute la tension réside dans cette mécanique puisque vous savez plus ou moins ce qui va vous tomber sur le museau.

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Une narration aux petits oignons

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C’est de toute beauté Franchement, je tiens à saluer le travail de l’équipe concernant le récit. L’immersion est pour ainsi dire remarquable. La plongée dans cet univers post-apocalyptique est palpitante, car chaque aventure ne vous laisse que peu de répit. Il faut le souligner, les moments où vous pourrez souffler seront rares et vos choix seront cruciaux et évidemment irréversibles. Ainsi, si dès le chapitre 1, vous vous attendez à une mise en bouche progressive et limpide, passez votre chemin, car l’introduction du jeu vous annonce clairement la couleur et vous aiguille assurément sur la direction souhaitée par les auteurs. Ici, nous sommes bien dans un jeu brutal et sans concession qui revendique clairement ses influences du genre. Aussi, si vous craignez un aspect trop cyclique de l’aventure, détrompez-vous, parce que malgré un faisceau narratif bien ancré, chaque chapitre se détache du précédent par son approche.

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Un monde parfait

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Pas que… Parlons maintenant de ce qui m’a gêné. Me concernant, la principale ombre au tableau s’applique au matériel. Je ne parle pas ici de la qualité des composants, mais bien de leur format. En effet, dès l’ouverture de la boîte, on se rend compte de la taille minuscule des tokens ; ce qui les rend pénibles à manipuler. Aussi, pourquoi avoir fait des cartes aussi grandes si le jeu peine à rentrer sur un playmat XL ? Je suis conscient que le problème a dû être relevé lors de playtests et travaillé de nombreuses fois, mais cela impacte de façon non négligeable l’expérience de jeu. Des cartes 70×70 n’auraient pas nui aux sensations de jeu selon moi. Sinon… Pour rebondir positivement, le premier-né de cette nouvelle maison d’édition est un coup de maître et fait du bien au paysage ludique français. Cocorico, on est fier. Par conséquent, j’ai adoré ce « Heredity »; la tension qui s’en dégage, la direction artistique irréprochable (Non mais cette boîte quoi.), l’immersion que nous procure la narration. Finalement, je n’ai pas vu le temps passer lors de ces dizaines d’heures de jeu, ce qui est de bon augure pour la suite.

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Heredity II

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Quoi de neuf Docteur ? Ne nous enflammons pas, mais un droïde espion m’aurait soufflé qu’une nouvelle campagne (dépendante du succès du premier opus) dans un autre univers hybride (Western-SF, paraît-il) serait déjà en développement pour une sortie prévue dans… Pas tout de suite. En revanche, ce qui est quasi certain, c’est qu’une extension préquel jouable avec les personnages de la boîte de base devrait voir le jour avant l’été 2024… Non sans pour me déplaire, car j’ai adoré incarner cette famille.

ndlr : nous avons eu quelques infos depuis la rédaction de cette critique, et la « suite » se précise bien sous forme d’une extension qui se déroulera avant le chapitre 1, ainsi qu’une probable 2ème boite se déroulant cette fois-ci dans un univers western fantastico-horrifique !

Critique rédigée par Julien.

Disponible ici :

Prix constaté : 44,90 €

Test : From the Moon

Test : From the Moon

Cette critique a été rédigée à l’aide d’une boite fournie par l’éditeur que nous remercions.

Une groooosse boîte, pas mal de matériel, comptez 70 € pour ce jeu intermédiaire. Des mécaniques de jeu assez courantes (placement d’ouvriers, contrats à remplir en échange de ressources récoltées…), une durée de partie pas assez contenue et un tempo très dépendant des joueurs.

S’il fallait résumer mon sentiment sur ce jeu, vous venez de le lire en quelques mots. Je vais quand-même développer un peu plus, je suis pas payé au mot de toute façon, et même pas payé du tout en fait…

Kickstarter ton univers reconnaissable

L’immense majorité des projets qui passent par KS rencontrent la même problématique de faire décoller leur campagne dès le début, et même de sécuriser le financement durant les premières minutes ou heures. Du coup, il faut appâter le chaland à grand renfort visuel, avec des stretch goals, et des exclusivités. Pour un jeu comme From the Moon, je trouve que ça se ressent et que ça dessert le jeu hors de cette plateforme. On se retrouve donc avec une boîte énorme, et un prix d’achat de 70€ minimum, pour un rapport poids/profondeur que je place en initié. Les mécaniques ne sont pas complexes, voire même très connues pour des amateurs d’eurogames, et la surcouche de petits twists et autres ajouts ne relèvent pas la complexité au point d’en faire un jeu expert. Du coup, il se retrouve en frontal avec Nucleum, ou Darwin’s Project, pour ne citer que 2 jeux sur le podium du dernier Diamant d’Or, le prix des jeux experts. Ces derniers sont un cran au-dessus en termes de complexité, mais c’est proche en termes de durée.

J’ai peint les rovers, dans la boîte ils sont de la même couleur que les bâtiments jaunes que vous voyez sur le plateau

La sainte trinité des eurogames

Placement, ressources, objectifs. Avec ces 3 mécaniques, vous avez From the Moon à peu de choses près. La partie avançant, il vous faudra acquérir d’autres ouvriers et/ou les spécialiser pour optimiser vos placements de rovers et récolter plus de ressources, et déclencher des actions supplémentaires. Une montée en puissance somme toute classique, et nécessaire pour ne pas se faire larguer dans la partie. Les objectifs à remplir demandent de plus en plus de ressources, donc il vous faudra optimiser vos ouvriers et leur placement.

2 ajouts à ces mécaniques qui sont un laboratoire à constituer pour déclencher des combos de ressources/PV/actions, et des bâtiments à construire et placer sur la lune, et recueillir des bonus qui se déclenchent durant la phase de recyclage.

Le laboratoire est à ne pas négliger tant les bonus en cascade peuvent être dévastateurs. C’est amené de façon un peu inélégante puisqu’il faudra positionner les tuiles du laboratoire de façon puzzle pas du tout intuitive. Le schéma est d’ailleurs repris sur votre plateau pour vous guider. C’est pour déclencher les combos lignes/colonnes de manière équilibrée mais ça n’est pas la plus élégante des manières à mon sens.

Les bâtiments à construire ont un double intérêt avec le déclenchement d’une action d’une tuile adjacente où on construit le bâtiment, et aussi et surtout ce bonus de ressource qui se déclenchera chaque fois que vous recyclerez. Cad quand vous aurez décidé de terminer votre phase de jeu, et de ramener sur votre plateau vos rovers placés. Vous le ferez entre 4 et 6 ou 7 fois par partie, donc ces bonus ne sont pas à négliger, surtout qu’il vous faudra nourrir vos ouvriers lors de cette phase.

Quelques petits ajouts donc à ces mécaniques somme toute assez classiques, et qui ne sont pas déplaisants, sans toutefois faire basculer le jeu dans la catégorie expert.

Durée de partie et tempo

Je pense que c’est ce qui m’a le plus dérangé dans le jeu. La durée de partie n’étant pas fixe (nombre de tours définis par exemple), et se déclenchant si les 3 vaisseaux sont construits, ou si un joueur arrive au bout de la piste de progression, les actions des joueurs ont un fort impact sur la durée totale. Par exemple, un joueur n’aura que peu d’intérêt à continuer à construire un vaisseau sur lequel il a la majorité acquise (et donc les PV qui vont avec), il devra juste s’assurer qu’il soit tout de même construit totalement avant la fin de la partie. Pour construire les vaisseaux ou les bâtiments, il faut tout de même pas mal de ressources, donc plusieurs successions d’actions assez identiques, de pose et récolte de ressources. Il peut arriver que plusieurs tours s’enchainent et que rien ou presque ne se passe… Cela nuit clairement au rythme de la partie, l’intérêt retombe, l’aspect « course » aux différents objectifs en prend un coup, bref ça dure sans être intéressant. Les tours s’avèrent être très inégaux.

Placement, récolte de ressources, et contrats à remplir. La sainte trinité des eurogames est présente, et les ajouts autour renforcent ces mécaniques mais ne changent que peu le rythme des actions.

Choix éditoriaux

A ne surtout pas oublier, une FAQ est disponible sur le site de l’éditeur et vous permettra d’avoir des explications sur des icônes qui ne sont pas présentes dans le livret de règles. C’est bien dommage et assez incompréhensible d’ailleurs, car une partie des tuiles et icônes sont expliquées, et tout une autre partie… absente.

Le matériel n’est pas du plus pratique, les rovers dans lesquels vous placez vos astronautes sont d’une forme… particulière pour le moins. Pour spécialiser vos astronautes, vous insérez un élément en plastique dans le sac à dos de la figurine, n’hésitez pas à bien enfoncer pour que ça tienne, idem pour les astronautes à faire tenir dans les rovers. Sans oublier le rangement ou la mise en place trop longs pour ce type de jeu selon moi.

Dans quel monde je sors From the Moon au lieu d’un autre jeu ?

Malheureusement, pas dans le mien. Vous l’aurez bien compris (je pense avoir été clair), le jeu est bien trop chargé pour la complexité qu’il propose. Trop de matos, trop long, trop dépendant des joueurs, trop cher mais trop peu complexe. Il est impossible de ne pas le comparer aux jeux auxquels il peut être comparé avant son achat en boutique, ou même dans sa ludothèque, justement pour savoir s’il est posé sur la table ou non.

C’est vraiment le syndrome « le cul entre 2 chaises » qui ne lui est pas du tout à son avantage. Au choix et pour le même prix j’ai Russian Railroads l’intégrale ! Marrakesh édition essentielle (bien suffisante) ou encore Nucleum. Franchement From the Moon ne soutiendra pas la comparaison avec ceux-là. Pas que le jeu soit mauvais, mais parce qu’il y a 1 ou 2 crans faciles en termes de profondeur et stratégie. Difficile du coup de justifier son positionnement et à moins d’être ultra fan du thème spatial, je ne vois pas comment concrétiser l’acte d’achat.

Après, un joueur initié pourra y trouver son compte, justement parce que la « difficulté » du jeu ou sa profondeur ne le place pas dans la catégorie expert qui peut en rebuter plus d’un. Mais même là, il y a bien d’autres choix plus évidents. C’est dommage pour ce From the Moon.

Disponible ici :

Prix constaté : 71.90 €

Test : Heredity – le livre de Swan

Test : Heredity – le livre de Swan

Cette critique a été rédigée à l’aide d’une boite fournie par l’éditeur que nous remercions.

Je me rappelle, c’était un vendredi aprèm, il était 16h13, on avait bien transpiré toute la journée dans les allées du FIJ de Cannes 2023, quand Yorkmouth-les-bonnes-idées nous avait entrainé sur le stand d’un petit éditeur inconnu, Darucat. Mais si, venez voir, ce jeu-là, il est en proto depuis des années, c’est génial, vous allez trop kiffer, c’est pas grave si on est 5, je veux juste vous voir y jouer. Il est comme ça Yorkmouth-au-cœur-d’or, toujours prêt à faire profiter les potos. Nous nous sommes donc assis avec un sourire un peu amusé, nous avons écouté religieusement les règles de ce jeu narratif dans un environnement post-apocalyptique, chacun a choisi un membre de la famille, et l’un de nous a retourné la première carte évènement. Je me rappelle, il était 16h47, et le premier Scavenger est arrivé en hurlant par la fenêtre de la cuisine devant nos yeux ébahis, et s’est fait sauter le caisson et la gazinière avec. Alors nous avons su que nous allions passer un grand moment. Nous allions découvrir Heredity.

7 mois plus tard, j’ai eu enfin l’occasion de dérouler les 4 autres chapitres contenus dans la boite. J’avoue, j’étais méfiant, parce que j’avais pris une si jolie claque pendant le festival, que je craignais que le reste ne soit pas à la hauteur, ou d’avoir idéalisé la session. J’avais bien sûr perdu l’émerveillement de la découverte, mais si vous voulez tout savoir, oui, les autres chapitres de l’aventure se sont révélés tout aussi réjouissants. Voilà, vous pouvez refermer votre navigateur internet et aller acheter le jeu, vous avez déjà la fin de l’histoire. Ou alors vous pouvez rester un peu plus longtemps au coin du feu, pour que je vous raconte de quoi il retourne exactement.

Mad Max : Farmer Edition

Heredity est donc le premier jeu de l’éditeur Darucat, et propose une expérience narrative sur 5 chapitres, au long desquels vous allez incarner l’un des membres d’une famille de fermiers sans histoire, qui se retrouvent soudainement confrontés à l’ultra-violence du monde déglingué dans lequel l’histoire se passe. Pourquoi, comment, tout cela se dévoile petit à petit, jusqu’au dénouement final, qui sera influencé par certains choix ou actions réalisées pendant la campagne. Je n’en dis pas plus, parce que j’en ai déjà pas mal parlé dans mes posts Facebook sur le jeu, et parce que le spoil c’est mal. Cela étant dit, et même si on a droit à tous les classiques de ce genre de décor, j’ai trouvé l’ensemble bien troussé, et certains choix scénaristiques m’ont agréablement surpris. Le jeu n’est cependant pas seulement narratif, il faut également faire survivre nos personnages tout au long du scénario à travers un gameplay pas bien compliqué, mais efficace. Chaque joueur se voit ainsi attribuer trois jetons d’action qu’il peut utiliser pour activer les emplacements de son personnage. Il pourra ainsi marcher, interagir, regarder, discuter, en alternant avec les autres joueurs sans qu’il y ait d’ordre de tour fixe ni d’obligation de jouer toutes ses actions d’un coup. C’est très souple, et ça laisse le temps de voir si on utilise son mouvement pour venir en aide à un camarade, ou si on part explorer ce nouveau lieu.

Une fois que chacun a réalisé les actions qu’il souhaitait, l’environnement évolue, des événements se produisent, et le tout est géré via une frise du temps qui est LA brillante idée du jeu. Concrètement, cette frise se construit progressivement en alignant des cartes que l’on parcourt ensuite l’une après l’une quand vient la fin de manche. On sait donc ce qui va nous tomber sous la tronche ou, encore plus malin, on en a juste une vague idée parce qu’il faudra attendre de retourner la carte pour découvrir ce qu’il se passe réellement. Ça n’a l’air de rien, mais ça augmente drastiquement la tension autour de la table, personne n’a envie de rester à côté de cet objet en métal qui fait tic-tac et qui vient d’atterrir au beau milieu du salon. Les cartes sont amenées soit directement par le scénario, soit par l’exploration du chapitre : vous voyez ce funeste triangle exclamatif sur une zone dans laquelle l’un des joueurs vient de poser le pied, vous rajoutez une carte à la frise. Simple, mais du coup la construction de la frise n’est pas figée et répond aux actions des joueurs. Le jeu raconte une histoire, et le fait de la meilleure façon possible.

Mortal Karma

Les cartes qui composent cette frise vont peut-être démarrer un compte à rebours avant que quelque chose de forcément horriblement tragique n’arrive, ou bien faire apparaitre des ennemis qui auront fait une entrée fracassante dans la vie de cette pauvre famille. Et des ennemis, il y en aura et de toutes les couleurs. Les combats sont fréquents, même s’il est toujours possible de la jouer pacifiste et de fuir plutôt que d’affronter un cinglé à la machette. En utilisant les jetons d’action à leur disposition, les joueurs peuvent ainsi donner des coups de poing et de pied, seuls ou à plusieurs, et tenter de faire suffisamment de dégâts pour passer l’armure de l’assaillant et occasionner des blessures. La quantité de dégâts infligée est déterminée par les actions choisies, mais aussi par un deck très joliment nommé Karma dans lequel on pioche pour connaitre un modificateur compris entre -2 et +2, et ça aussi ça marche très bien.

Certes ce deck commence avec des cartes de base, mais il va se modifier au cours de l’aventure et se rappeler de certains choix ou de certains marqueurs dans l’histoire. Tout parait tomber sous le sens, comme remplacer une carte 0 par une carte +2 parce qu’on a choisi la voie du sang. Bien sûr, les joueurs vont taper plus fort, mais cela vaut également pour les ennemis, puisque leurs attaques sont sujettes au même deck. La violence appelle la violence après tout. Et comme il n’y a en permanence que 9 cartes en tout et pour tout dans ce deck, aux joueurs de se rappeler ce qui est déjà sorti pour évaluer les probabilités que la prochaine attaque gagne un bonus ou au contraire un malus. Vaudra mieux alors laisser la prochaine attaque aux ennemis… Il y a donc une dimension tactique non négligeable, surtout que les ennemis tapent fort, et que les personnages sont vite handicapés par les blessures. En effet, chaque dégât subi demande de bloquer un emplacement d’action sur la feuille de son personnage, qui empêchera alors de se servir de l’action en question tant qu’on ne s’est pas soigné : si on est blessé à un pied, on se déplacera moins vite, si on a pris une batte cloutée dans le visage, on verra moins bien, et ainsi de suite.

Vers le western horrifique, et au-delà ?

On s’approprie donc rapidement les différentes mécaniques, qui sont suffisamment souples pour que les joueurs puissent gérer les situations qui s’offrent à eux comme ils l’entendent. Qui s’occupe de ce molosse, est-ce que j’essaie de réparer cette mitrailleuse ou est-ce que je vais fouiller ce bureau, eh les gars, ce bouton rouge semble m’appeler, j’ai très envie d’appuyer dessus ! Cela laisse aussi tout loisir de profiter de l’histoire et de se déchirer sur les choix qui s’offrent aux joueurs. Oui, peut-être que je n’aurai pas dû appuyer sur ce bouton en fin de compte… N’imaginez pas cependant des changements drastiques dans le déroulé, il s’agit essentiellement de variations à la marge, avec néanmoins un travail un peu plus conséquent au niveau de l’épilogue, et une dizaine de fins différentes possibles. Je n’irai pas pour autant parler de rejouabilité, parce que les différences entrevues d’un run à l’autre ne sont pas énormes, mais je dois avouer qu’on a la curiosité sérieusement titillée quand on lit ce qu’il advient du monde d’Heredity après le chapitre 5. L’occasion alors de se lancer dans une aventure solo avec un plaisir comparable, parce que gérer quatre personnages n’est pas bien compliqué et que l’absence de tour de jeu évite de rendre l’expérience artificielle, même si on perd le sel des discussions de groupe sur l’opportunité de s’engager dans telle ou telle voie.

Tout cela est donc très bien et intelligemment pensé, que ce soit au niveau du gameplay sans faute ou de la boite elle-même qui préfère les standees aux figurines gris plastique, ce qui permet de garder un prix tout à fait raisonnable. Mais… mais si chaque chapitre est une tentative pour amener le rythme et la narration dans une direction différente, on en voudrait toujours plus ! Quand on voit à quel point le système semble se prêter à n’importe quel univers, pouvoir s’adapter à n’importe quel genre de scénario, on se dit que l’imagination est dès lors le seul frein. Et ici, Heredity semble peut-être un peu sage.

Il faut cependant savoir qu’une extension est déjà prévue, qui se déroulera avant le chapitre 1, et si le jeu rencontre le succès qu’il mérite, un autre univers hyper prometteur fera l’objet d’une deuxième boite : du western, une ville de l’Ouest américain sauvage, du fantastico-horrifique à la Guillermo Del Toro, j’en ai les papilles qui frétillent d’avance. J’espère alors que ce sera l’occasion de tenter d’autres choses, avec peut-être des personnages plus marqués dans leurs différences, des conséquences plus fortes d’un chapitre à l’autre ou de nouvelles mécaniques explorées. Darucat a trouvé le bon filon, à eux maintenant de pousser le concept dans ses retranchements.

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Prix constaté : 44,90 €