Test : Spirit Island extension Terre Fracturée

Test : Spirit Island extension Terre Fracturée

J’ai toujours été fan des comparaisons osées. Certes, des fois ça me pousse à révéler des secrets honteux, comme cette recette du cassoulet/huitres, que je ne détaillerai pas ici parce que je ne pense pas que le monde soit prêt. Mais avouez que, la plupart du temps, on comprend tout de suite de quoi on parle, et puis de toute façon vous n’avez pas le choix, c’est moi qui écris et vous qui lisez. Où en étais-je ? Ah oui, Spirit Island, et plus précisément la dernière extension sortie par Intrafin, Terre Fracturée. Croyez-moi ou non, mais découvrir Terre Fracturée après quelques parties du jeu de base, c’est comme s’apercevoir, après sué sang et eau pour grimper une petite corniche, qu’il y a tout un Mont Everest derrière. C’est terrifiant et exaltant à la fois. On a hâte de découvrir ce qui nous attend, toutes les nouveautés, comment on va aborder ces nouvelles difficultés. Et surtout, on a hâte de découvrir à quel point on va souffrir.

Pour rappel, retrouvez en cliquant sur l’image les critiques du jeu de base et de la 1ère extension :

Rengagez-vous qu’ils disaient !

Je ne vous ferai pas l’affront de rappeler en quoi consiste Spirit Island, nous sommes ici entre gens de bon goût. Je rappellerai juste que si le jeu de base offre déjà un puzzle d’un fort beau gabarit, avec ses notions de pouvoirs lents, pouvoirs rapides, ses éléments qui permettent de déclencher d’autres pouvoirs si on les combine correctement, ses adversaires et ses scénarios qui introduisent de nombreux twists dans le déroulé de la partie, voire carrément de nouvelles conditions de victoire ou de défaite, l’extension quasi obligatoire De Griffes et de Crocs vient compléter à merveille la proposition en introduisant les événements qui rajoutent un peu d’aléatoire, juste ce qu’il faut pour ruiner nos si jolis plans. Et quand on aboutit à un chef d’œuvre de gameplay, pourquoi vouloir absolument ruiner l’expérience en l’alourdissant ?

Sauf que l’idée de R. Eric Reuss est tout autre. Il ne s’agit pas ici de rajouter des couches de règles, des plateaux supplémentaires (même s’il y en a, avec des regroupements de régions qui génèrent des problématiques encore nouvelles) ou autre, mais plutôt de voir jusqu’où on peut tordre le principe même du jeu, jusqu’où on peut creuser dans le bac à sable qu’est Spirit Island avant de taper dans le béton. Et à en juger par le contenu extrêmement généreux de la boite, la mécanique de jeu est solide comme rarement, tant il est possible de la malmener sans la briser et perdre de vue ce qui rend ce jeu si incroyable. Ainsi, toute une ribambelle d’esprits plus étranges les uns que les autres viennent enrichir la collection déjà conséquente, des pouvoirs hyper différenciés et de nouveaux ennemis font leur apparition, et l’auteur se permet le luxe d’introduire les aspects, qui altèrent plus ou moins en profondeur les esprits présents dans la boite de base. Il s’agira des fois de corriger une faiblesse, ou de le rendre peut-être plus intéressant, mais le plus souvent le joueur devra repenser sa manière de jouer.

Same same, but different

Ainsi, lors de ma dernière partie, j’avais choisi d’expérimenter un nouvel aspect de l’esprit Jaillissement de la Rivière Etincelante, un esprit de la boite de base que je joue rarement, tout simplement parce que ses particularités ne me parlent pas plus que ça. Sa règle spéciale le fait considérer les régions marécages comme des sanctuaires, c’est intéressant parce qu’on peut se permettre d’éparpiller nos présences sans se fermer de porte en matière de pouvoirs. Mais c’est passif, et j’avoue préférer les esprits qui demandent de jongler avec plusieurs paramètres, qu’ils soient complexes ou non d’ailleurs. L’aspect « voyage » de cet esprit vient tout bouleverser, et ce juste en modifiant quelques lignes : ce ne sont plus les marécages qui sont automatiquement considérés comme des sanctuaires, mais les régions dans lesquelles il y a quatre Dahans ou plus, il revient alors au joueur de déplacer ses Dahans au début de chaque phase de croissance pour tirer parti de cette capacité. Tout d’un coup la complexité augmente, un troisième étage se rajoute au puzzle pouvoirs lents/pouvoirs rapides et le joueur devient beaucoup plus actif dans la gestion de l’esprit. Brillant.

C’est brillant, mais on reste sur du classique : certes les aspects permettent de renouveler l’approche des esprits existants, mais les mécaniques en jeu restent celles de la boite de base. Les nouveaux esprits, eux, changent carrément la donne. Je ne vais pas tous les lister, parce qu’ils sont tous plus étranges les uns que les autres et qu’ils mériteraient tous un article à part entière. Je vais juste en évoquer deux. Le premier vous amène à incarner l’esprit d’un volcan, et c’est l’un de mes préférés tant il est thématique. D’ailleurs il s’appelle Volcan Dominant l’Île, ça annonce la couleur. Un volcan, ça ne bouge pas, alors vos présences seront cantonnées aux régions montagneuses, et elles vont s’empiler forcément. Un volcan, ça fait monter la pression jusqu’à l’explosion, et vous aurez ainsi l’opportunité, au bout de quelques manches, de sacrifier vos présences pour infliger des dégâts monstrueux à tout le voisinage. Comme un volcan, voilà. On a donc un esprit résolument déséquilibré, qui abandonnera complètement certaines régions, mais qui possède une énorme de frappe si on survit jusque-là.

Maitre Reuss sur un arbre complètement perché

C’est le genre d’audace de gameplay qui me réjouit grandement, et Lueur Etoilée Cherchant sa Forme pousse le bouchon encore plus loin. Genre, dans l’espace. En lisant sa fiche, on réalise encore une fois à quel point ce jeu est hyper modulable, et rejouable à l’infini. La plupart des esprits demandent de choisir entre plusieurs options de croissance prédéfinies, comme gagner un pouvoir, poser une présence, récupérer les pouvoirs de sa défausse, et ainsi de suite. Lueur Etoilée invite lui le joueur à définir tout au long de la partie quelles seront les options de croissance qui lui seront offertes, quels pouvoirs innés il va régulièrement jouer, et évidemment il faudra faire des choix et écarter d’autres possibilités qui avaient l’air tout aussi réjouissantes. C’est l’esprit adaptable par excellence, et pour quelqu’un qui connait bien le jeu, il permet a priori de gérer n’importe quel adversaire, n’importe quel partenaire, n’importe quelle configuration. Sans parler de la rejouabilité, énorme, puisque lors d’une prochaine partie, on pourra tout à fait choisir d’emprunter un autre chemin de progression, parmi 16 possibles.

N’allez pas non plus penser que les esprits que j’ai passé sous silence sont moins intéressants, au contraire, il y en a pour tous les goûts, y compris les plus bizarres. Gestion de la temporalité, pouvoirs aléatoires, dégâts qui ne disparaissent pas d’une manche à l’autre, focus sur les éléments, chaque esprit de Terre Fracturée propose un challenge original et intéressant. Evidemment, l’extension vient également avec son lot de scénarios et surtout d’adversaires, qui proposent des puzzles différents, qui vont mettre l’accent sur la gestion des constructions, ou bien renforcer la défense des villages, et ainsi de suite. Cela oblige la plupart du temps à sortir de son schéma classique de gestion des envahisseurs, et l’échelle de difficulté très fine permet de se concocter un défi aux petits oignons. D’ailleurs, une fois qu’on y a goûté, aux adversaires, pas aux oignons, suivez un peu, il est difficile de retourner à une configuration sans, qui parait en comparaison un peu trop directe et même simple.

Venez, n’ayez pas peur…

Simple, Spirit Island ? D’accord, le mot est fort, et sans doute faux. Mais j’ai choisi en rédigeant cet article, de m’adresser à une toute petite niche, celle des joueurs qui ont osé franchir le pas et ouvrir la boite de Spirit Island, et qui ont aimé ça, et qui ont eu envie d’approfondir le concept et de se mesurer à plus dur, plus complexe, plus bizarre. A ces gens-là, je leur dis sans détour, foncez, c’est de la boulette. Et pour tous les autres ? Croyez-moi, j’aimerais écrire que n’importe qui peut jouer à Spirit Island, parce que le jeu n’est pas si compliqué à expliquer, et que les actions entreprises par les joueurs ont des conséquences souvent immédiates. Mais je sais que certains resteront complètement réfractaires. Et pour ceux qui n’ont pas encore essayé, je ne peux que leur conseiller de se mesurer à la boite de base, et s’ils ne sont pas parti en courant, de découvrir la richesse de Terre Fracturée. On atteint là l’un des summums de l’expérience solo ou coopérative en jeu de société.

Disponible ici :

Prix constaté : 63 €

Test : Spirit Island extension De Branches et de Griffes

Test : Spirit Island extension De Branches et de Griffes

Quand Spirit Island a débarqué sur Kickstarter en 2015, les Stretch Goals débloqués ajoutaient beaucoup de contenu, mais également du gameplay. Cependant, dans sa version boutique, que ce soit en VO chez Greater Than Games ou en VF chez Intrafin, Spirit Island n’incluait que les 8 esprits de base, 8 scénarios et 3 adversaires. Le reste a fait l’objet d’une première extension, De Branches et De Griffes, commercialisée en 2019 par Intrafin. Et c’est très bien comme ça.

Spirit Island propose en effet un défi particulièrement relevé pour ceux qui découvrent le jeu. Gagner pour la première fois peut prendre un certain temps, et la rejouabilité introduite par les différents esprits, les mises en place imposée par les scénarios, ou encore les adversaires et leur niveau de difficulté, est largement suffisante pour les 50 parties qui suivent. Il faut prendre le temps de déguster.

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Si vous l’avez manqué, vous trouverez ici la critique du jeu de base.

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La possibilité d’une île encore plus méchante

Cela dit, Spirit Island est calculatoire et exigeant, mais pas insurmontable, et une fois assimilées certaines ouvertures et stratégies, la victoire revient régulièrement dans les premiers niveaux de difficulté. On perd alors en tension, et donc en intérêt de jeu. Les adversaires corsent évidemment l’affaire, mais le gameplay n’en est pas enrichi pour autant : il s’agit souvent de faire la même chose, il y a juste plus d’envahisseurs à gérer. Les scénarios apportent par contre un petit vent de fraîcheur en modifiant les conditions de victoire et certaines règles du jeu.

Entre alors en scène De Branches et De Griffes. Toujours conçue par Eric Reuss, toujours prévue pour 1 à 4 joueurs, cette extension permet de reconstituer le jeu tel qu’il avait été proposé lors de la campagne Kickstarter. Classiquement, l’extension augmente le nombre de mises en place potentielles avec 1 nouvel adversaire (la France) et ajoute également 4 nouveaux scénarios. Mais surtout, elle introduit deux nouveaux concepts indissociables : les Evénements et 4 types de jetons différents, qui renouvellent énormément le jeu sans trop le complexifier.

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La petite maison dans les ronces carnivores

Les cartes Evénements se déclenchent, à raison d’une par manche, juste avant la phase des Envahisseurs. Elles sont révélées au dernier moment et, la plupart du temps, les aléas qu’elles amènent arrachent aux joueurs de grands hurlements de frustration. Le principe est simple : un événement négatif qu’il est possible de contrebalancer au prix d’un grand sacrifice, puis deux événements positifs qui sollicitent les Dahans (les autochtones de l’île) et ces nouveaux jetons. Encore une fois, il s’agira d’une gestion des priorités : accepter la punition (perdre des présences, augmenter la puissance des envahisseurs, etc.) ou payer le prix (en énergie, en cartes Pouvoir à défausser ou oublier) si on le peut.

Quant aux jetons (Ronces, Maladie, Discorde et Bêtes), ils sont exploités via les cartes Evénements donc, et par de nombreux nouveaux pouvoirs, ainsi que par 4 nouveaux Esprits. L’approche proposée pour ces nouveaux Esprits montre à quel point l’auteur a compris son jeu et a su approfondir les concepts qui en font toute son originalité. Tout en restant dans la même lignée que leurs prédécesseurs – des puissances de la nature qui se réveillent pour hacher menu de l’Envahisseur – ils viennent chacun avec leur twist, que ce soit au niveau de la capacité passive, des pouvoirs innés ou des pistes de croissance.

Sans parler d’asymétrie, ces Esprits obligent les joueurs à réfléchir différemment, en termes de stratégie de croissance, de sélection de nouveaux pouvoirs ou de positionnement sur le plateau. Ils incitent également à se coordonner d’avantage, car ils auront des faiblesses rédhibitoires, ou nécessiteront une aide extérieure pour pouvoir grandir. Plus novateurs dans leur approche, plus bancals, moins sages, ils sont vraiment le point fort de cette extension, et il est très appréciable que la version proposée par Intrafin inclue les deux Esprits promos absents de la VO.

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Stupeur & Tremblements de terre

Je vous vois prêts à dégainer la carte bleue, et je m’en réjouis, parce que cette extension est formidable. Même les coquilles sont mineures, et un pack correctif est disponible auprès de l’éditeur (ou inclus d’office dans la 2nde extension Terre Fracturée). Mais il faut que je vous dise auparavant : De Branches et De Griffes peut également déplaire, sinon je vais m’en vouloir très longtemps. C’est faux, j’aime voir les gens souffrir. Notamment lorsqu’ils ont réfléchi à leur tour pendant de longues minutes, avec un enchainement très bien pensé de pouvoirs rapides, innés et lents. Puis, on révèle la prochaine carte Evénement et là une envie irrésistible de foutre la table en l’air saisit l’assemblée parce que la défense et les dégâts prévus ne vont servir à rien et surtout pas à empêcher les Envahisseurs de ravager l’île. Suivant le hasard des cartes, il peut donc arriver que régulièrement des plans particulièrement élaborés soient jetés à la poubelle dans la foulée et que des pouvoirs payés avec notre maigre pécule ne servent à rien. Je serai honnête, on a parfois des envies d’autodafé.

Si vous êtes cependant prêt à accepter l’injuste, et à composer avec, je vous invite fortement à faire l’acquisition de De Branches et De Griffes, tant il vient compléter Spirit Island et le sublimer. Le jeu en devient plus imprévisible, plus complexe, plus excitant tout simplement et il est alors difficile de revenir au gameplay de base. En tout cas, moi, je ne peux plus jouer sans.

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Disponible ici :

Prix constaté : 26,95 €