L’édito du Labo #7 – Tric Trac, tuer le père

par | 5 Mai 2024 | News | 6 commentaires

A l’instar de l’édito du mois précédent, je vais parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Mais cette fois, il ne s’agit plus de le regretter.

Monopoly Tric Trac

Ceux qui ont découvert le plaisir ludique avec Catane, Carcassonne ou les Aventuriers du Rail possèdent tous ou presque un attachement particulier envers le site Tric Trac. Créé en 2000, il a accompagné notre passion ludique et a grandi en même temps qu’elle.

Ses pages d’actu étaient nos principales sources d’information, ses vidéos nos guides d’achat et son forum de discussion, adossé au site, notre refuge. Quant à Monsieur Phal et Docteur Mops, ils étaient les premières célébrités du petit monde ludique. Ceux qu’on reconnaissait dans les festivals sans jamais oser leur parler. C’était une autre époque.

Bien avant Simon du Passe-Temps et son charisme indéniable, Tric Trac était là et mis à part quelques magazines et autres sites* au lectorat réduit, il était tout seul. Le site de Phal avait le quasi-monopole de l’information sur le jeu de société.

La tactique de Tric Trac

Mais qu’était Tric Trac au juste ? S’ils ne se sont jamais clairement définis, ils ont toujours eu l’honnêteté de ne pas se présenter comme des journalistes. Invité dans le podcast “63-88”, Guillaume Chifoumi (successeur de Phal en tant que figure de Tric Trac) rappelait qu’ils n’avaient jamais demandé de carte de presse car cela entraînait des impératifs déontologiques impossible à tenir. La raison principale étant leur lien avec les éditeurs.

Un site de presse se rémunère habituellement par ses lecteurs et par des publicités indépendantes de son contenu. Chez Tric Trac la principale source de revenu était les éditeurs. Au travers de ses vidéos de règles ou de parties, le site d’information ludique vendait tout simplement notre temps de cerveau disponible.

Pour que ce contenu publi-rédactionnel passe auprès de son public, il était associé à un discours. Selon Phal, la critique était devenue inutile puisqu’on pouvait mettre le jeu directement face aux joueurs. Il l’a rappelé plus tard sur sa chaîne Youtube, dans sa vidéo judicieusement titrée “le journalisme, la communication, en a-t-on vraiment besoin ?”. Le fait que l’éditeur vienne pour vendre n’était jamais véritablement caché mais la pilule passait grâce à une posture prétendument objective et au charisme de M. Phal.

Il faut dire que le monsieur était clairement en avance sur son temps. En misant beaucoup sur sa personnalité exubérante, il s’était fait influenceur avant même que le mot ne soit popularisé (vers 2006 selon Wikipédia). Pourtant, Tric Trac ne survivra pas à la concurrence.

Déclin et chute de l’empire Tric Trac

En 2009, neuf ans après sa création, 49% du capital de Tric Trac est acquis par Marc Nunès (le PDG d’Asmodée). Cette situation perdurera jusqu’en 2018 où le site est racheté en totalité par Plan B Games. M. Phal en profite alors pour passer la main à Guillaume Chifoumi. Après une brève tentative d’en faire un site marchand, il est de nouveau racheté par Asmodée en 2019. Trois ans plus tard, ce dernier jette finalement l’éponge et arrête de soutenir Tric Trac alors en grave difficulté financière.

Le site a depuis été repris en main par une association désireuse de maintenir cette institution du monde ludique et son immense base de données francophone mais Tric Trac en tant qu’entreprise est morte.

Alors qu’elle avait toutes les cartes en main : une communauté fidèle, un outil audiovisuel rodé et un carnet d’adresse bien rempli, Tric Trac n’a pas réussi à s’adapter à l’avènement des influenceurs. Le départ des figures historiques, de nouvelles versions du site qui ont divisé la communauté, une arrivée sur les réseaux sociaux tardive avec de vieilles et onéreuses recettes (comme une tentative d’émission sur Youtube) et des éditeurs lassés par sa position dominante ont mis fin à l’hégémonie trictraquienne.

Elle aura tout de même connu une longévité de 22 ans et influencé profondément le milieu ludique. Mais pas forcément en bien.

L’héritage

La plupart des influenceurs d’aujourd’hui sont des héritiers du Tric Trac d’hier. En misant sur leur personnalité plutôt que sur leur contenu, en privilégiant la gratuité pour leur public et les contributions des éditeurs, en adoptant une jovialité de façade sans jamais, ô grand jamais, dire du mal des jeux, ils appliquent la même recette. Si on ne peut pas tout mettre sur le dos de Phal et ses compères -c’est clairement dans l’ère du temps- il faut dire qu’ils ont tout fait pour la populariser.

Et si on les a beaucoup entendus pour défendre ce modèle, ils furent beaucoup moins bavards quand il s’agissait de défendre le monde ludique. S’ils ont donné de la visibilité aux éditeurs mais aussi aux auteurs, il n’y a eu aucune prise de position sérieuse pour les soutenir. Pas non plus de discours sur l’intérêt culturel du jeu ou d’action pour améliorer son image vis à vis du grand public.

Moi qui me suis récemment intéressé au milieu du jeu de figurines, je suis ébahi par l’influence positive qu’essaye d’exercer French Wargame Studio, première chaîne Youtube francophone sur le sujet. Dans le discours, l’organisation d’évènements, le soutien aux associations, la visibilité de la communauté francophone vis à vis du leader Games Workshop… FWS a compris sa responsabilité de média dominant et en joue pour tirer son hobby vers le haut. Ce que, à mon sens, n’a jamais fait Tric Trac.

Si on veut chercher une influence positive de Tric Trac, il faut plutôt jeter un œil à sa communauté. Son forum sur lequel beaucoup de passionnés ont éveillé leur intérêt pour le milieu ludique au-delà de la seule boîte de jeu, ses avis parmi lesquels des plumes -parfois acérées- nous ont ravis de jeux de mots excellents, son blog ouvert qui permettait à des amateurs d’écrire, parfois pour pousser des gueulantes salutaires.

En raison de son long monopole, Tric Trac a permis de cristalliser une communauté et à lui donner corps. C’est peut-être la seule bonne chose à retenir de l’héritage de Tric Trac.

*Les magazines Plato et feu Jeu sur un Plateau ainsi que les sites internet comme la Bibliothèque Idéale de Bruno Faidutti et Jeuxsoc.fr

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6 Commentaires

  1. Salmanazar

    Avec les sous-titres Monopole, déclin, tactique, je comprends pas le but de l’article.

    Quand à l’héritage, je pense pas que la volonté eut été d’en faire un.

    TT est né, il a eu une vie. Il a fait, il a évolué, il a essayé des choses et il s’en est allé. Mais que de bons moments j’ai eu à lire sur leur site !

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  2. Teaman

    Bonjour ! Je ne crois pas qu’il y ait besoin d’une volonté particulière pour créer un héritage. Tric Trac a été un maillon important du milieu ludique pendant près de 22 ans, il a forcément laissé des traces. C’est peut-être justement de ne pas avoir pris conscience de cet impact que je reproche un peu au TT de l’époque. Cela ne retire absolument pas l’importance qu’il a eu dans nos vies de joueurs mais permet, avec du recul, de le resituer. TT aurait eu les moyens de bien plus tirer le jeu de société vers le haut. Il ne l’a pas fait et c’est dommage.

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  3. Max Riock

    Je comprends pas l’intérêt de cet édito à par tirer sur un site mort avec des oublis et des contre vérités …

    Tric Trac n’était pas le seul site et loin de là, Jeuxsoc, ludolegars, la ludothèque idéale, … Mais oui c’est bien celui qui a su vivre avec son temps et résister le plus aux réseaux sociaux …

    Les influenceurs d’aujourd’,hui n’ont pas l’héritage de Tric Trac, NON, à part les quelques vieux comme moi, mais les influenceurs d’aujourd’hui étaient bien trop jeunes pour connaitre et voir la grande époque de Tric Trac … Les influenceurs d’aujourd’hui sont influencés par les influenceurs autre que le monde ludique, TT n’a rien à voir avec cela ! Il vient de la le culte de la personnalité, pas de TT qui, au contraire, à toujours chercher à faire des articles, des reportages, des vidéos de qualité en se remettant toujours en question et en mettant toujours en avant Auteurs, illustrateurs et éditeur !

    TT à tout de même permis de faire parler du jeu de société à une époque ou naissait l’internet, à être présent sur les réseaux avant tout le monde, donc oui, à sa façon et avec les moyens de l’époque, TT à contribué à aider le secteur

    Pourquoi chercher à faire de TT ce qu’il n’était pas ! Ce site via Phal, Mops, Guillaume et tous les autres à très très bien fait ce pour quoi il était là, et je ne les remercierais jamais assez pour ça ! Leur héritage et leur impact est bien plus présent et positif que tu ne le penses …

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    • Teaman

      Bonjour ! J’accepte tout à fait qu’on ne puisse pas être du même avis que moi mais où sont les oublis et les contre-vérités ?

      Jeuxsoc et la ludothèque idéale sont mentionné dans l’édito. Après, il faut être réaliste l’ambition n’était pas la même et Tric Trac écrasait tout en terme d’audience.

      Bien sûr, que les influenceurs qui ont pignon sur rue aujourd’hui connaissaient Tric Trac. On a vu Guillaume Chifoumi sur des vidéos du Passe-Temps ou d’un monde de jeu ; Penelope Gaming et Musso ont même participé au TT Show. Il ne faut pas oublier que le milieu ludique est un tout petit monde et le changement de génération ne s’est pas fait en un jour. Ces gens-là se sont forcément croisés aux festivals et aux évènements presse des éditeurs.

      Je pense qu’on a maintenant assez de recul pour voir Tric Trac pour ce qu’il était. Une vitrine pour les éditeurs (qui payait, je le rappelle, plusieurs milliers d’euros pour une vidéo).

      C’était important d’avoir un média à destination des joueurs à l’ère d’internet mais en y repensant j’aurais aimé qu’il ne ressemble pas à ça. Je reconnais que c’est un voeux personnel mais j’aurais préféré plus de pluralisme, d’indépendance, de critique, de hauteur de vue. Moins d’égos aussi. Peut-être était-ce déjà l’ère du temps et que, finalement, nous joueurs ne méritions pas mieux…

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      • Max Riock

        Contre-vérités :
        TT n’avait pas le monopole, il y a avait beaucoup d’autres sites (qui ont plus ou moins bien marché)
        « TT n’a jamais tiré sa communauté vers le haut » : Encore faux, ils leur ont offert un forum, un des plus grands du secteur ludique, ils ont été les premier sur Youtube, ils ont été les premiers à filmer les festivals …
        Oublis :
        Tu ne parle que des influenceurs qui ont travaillé pour TT, quand est-il des TikTokeurs, des instagrameurs-euses qui étaient, dans leur majorité, trop jeunes pour connaitre TT lors de sa période fleurissante ?
        Je suis sur qu’une majorité ne connaissent TT que de nom et n’ont jamais mis les pieds sur le site !

        Tric Trac était une vitrine pour les éditeurs et LE site le plus important pour les joueurs et joueuses pendant des années ! Sans TT le monde du jeu de société francophone n’en serait surement pas là aujourd’hui, son Héritage ne peut donc pas être minoré !

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        • Teaman

          Savoir si la position dominante de TT l’était assez pour la qualifier de monopole ou mesurer l’influence directe ou indirecte de TT sur l’ensemble des influenceurs ludiques… Tout ça ressemble du chipotage, tu ne trouves pas ?

          A mon sens, plus que de mettre en avant des erreurs, tu proposes un point de vue différent. Et c’est plutôt une bonne chose ! La critique me semble salutaire tant que, comme la tienne, elle reste respectueuse. Surtout dans un milieu comme le notre où elle est bien trop rare.

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