Test : Explorers of the Woodlands

par | 22 Jan 2024 | Non classé | 0 commentaires

Cette critique a été rédigée à l’aide d’une boite fournie par l’éditeur que nous remercions.

Xylia, le lézard courageux, passe la corde de son arc en travers de la poitrine, et vérifie une dernière fois son carquois. Bethras, la grenouille malicieuse, bondit d’excitation et raconte à qui veut l’entendre à quel point elle est impatiente d’entamer l’aventure qui attend notre fière bande de héros. Sha’vi, le sage renard, se tient silencieux à l’écart du groupe et médite, entouré d’une aura bleutée et envoutante. Klethor, le puissant scarabée (Hein ?), vérifie une dernière fois la missive royale qui leur demande urgemment de se débarrasser du démon qui sévit dans la Forêt d’Emeraude. L’heure est grave, mais nos amis savent qu’ils vaincront car le Bien triomphe toujours. Alors, le sourire aux lèvres, et l’espoir en bandoulière, ils s’enfoncent entre les arbres, laissant derrière eux la clairière ensoleillée où ils avaient établi leur camp. Bientôt, plus rien ne trouble la quiétude environnante, si ce n’est le pépiement des oiseaux et le vent qui caresse gentiment l’herbe haute. Ah si, on entend assez vite les hurlements horrifiés de nos pauvres petites bêtes, ponctués des craquements d’os qu’on brise et du chuintement humide d’un ventre qui s’ouvre en deux. Happy Tree Friends peut aller se rhabiller, Explorers of the Woodlands repousse le massacre champêtre un cran plus loin.

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Il était une fois quatre héros vaillants…

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Ne vous laissez pas abuser par la direction artistique toute choupinou et le 10 ans et plus de la boite. On aurait pu croire à un successeur de Karak pour enfants un peu plus aguerris, et la possibilité de se balader dans la forêt plutôt que dans des catacombes sinistres ainsi que la dimension coopérative avaient un certain attrait. Le problème, c’est qu’Explorers of the Woodlands n’autorise aucune fantaisie ni marge de manœuvre, et à moins de garder tout le monde bien collé-serré, vous allez vite souffrir et retourner la table de frustration (Astuce des pros : jouez sur une table en contreplaqué, l’effort sera moindre qu’avec du chêne massif.). Pas question de partir chacun dans son coin, ou de tenter d’avoir son moment de gloire, bienvenue dans l’exploration de donjon à la soviétique. Tout pour le collectif ! Mais je vous sens dubitatif, alors je vous invite à me suivre entre les ronces acérées et les tanières inquiétantes. Ne vous inquiétez pas, dans les bois, personne ne vous entendra crier.

Chacun se voit donc attribué l’un des quatre personnages disponibles, qui pourra légèrement évoluer pendant le scénario, et s’équiper avec un peu de chance. Les différentes bestioles ont clairement des profils différents, ce qui les rends plus aptes à certaines tâches qu’à d’autres. Il y aura le soigneur, le tank lourdeau, vous connaissez la chanson. Les tours de jeu s’enchainent rapidement : avant la phase d’action à proprement parler, chacun pose d’abord une nouvelle tuile pour agrandir le terrain, un moment plutôt tranquil… MAIS SURTOUT PAS MALHEUREUX, POURQUOI TU L’AS MIS LA, T’ES FOU, TU VEUX MA MORT ? Ouais, la pose doit obéir à certaines règles primordiales, tant le chrono est serré : en effet, dès que les joueurs ne peuvent plus poser de tuile, le boss est révélé et il ne reste souvent plus que deux manches pour lui régler son compte, sa jauge de menace se remplissant très rapidement. Si les joueurs sont à l’autre bout de la carte à ce moment-là et, pire, s’ils sont éparpillés, vous pouvez déjà dire adieu à la victoire, à moins d’une chance incroyable aux dés.

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Qui trébuchèrent sur une ronce, la faute à pas de chance

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Oui, tout repose sur les dés, beaucoup plus que dans la plupart des dungeon crawlers. Certes, que ce soit dans Descent ou Death May Die, on lance des brouettes de dés, et j’adore ça. Mais les actions qui nous amènent à ces lancers (se déplacer, se soigner, se préparer au combat) ne sont pas tributaires d’un jet de dé. Ici, c’est le cas, et ça peut être carrément frustrant. Lorsque vient le tour d’un joueur durant la seconde phase d’une manche, il lance 4 dés et doit ensuite les attribuer à des actions de son plateau personnel, en fonction des chiffres qu’il a obtenus. Un dé figurant 1, 2 ou 3 permettra de se déplacer, un 4 ou plus permettra d’augmenter sa jauge de mana, vous avez compris l’idée. On ne peut relancer qu’une seule fois les dés, et je vous laisse imaginer donc le potentiel de crispation si par exemple vous n’obtenez que des chiffres supérieurs à 3. Bloqué sur place, il y a de grandes chances que votre tour ne serve à rien, surtout que la plupart des emplacements n’acceptent qu’un dé maximum par tour.

Et pourtant, il y a du pain sur la planche pour espérer se présenter devant le boss avec une chance raisonnable de victoire. Cela passe nécessairement par l’acquisition d’équipement, que ce soit à la taverne ou sur des tuiles aléatoires après avoir occis les monstres du coin, et par le déblocage des 2 pouvoirs passifs de son personnage. Ces capacités s’acquièrent en dépensant des orbes, qui se récupèrent via l’extermination des susmentionnés monstres, l’utilisation d’au plus un dé d’action par manche, ou encore l’exploration hasardeuse, qui consiste à se déplacer sur une tuile non encore révél… MAIS T’ES DINGUE ! TU VEUX QU’ON SE FASSE OUVRIR EN DEUX AU COUTEAU A BEURRE ? T’EN AS MARRE DE LA VIE ? Grossière erreur mes petits castors, la marge de manœuvre est tellement faible que poser une tuile au hasard peut déclencher bien des catastrophes. On se concentre donc sur le génocide de monstres pour faire progresser nos personnages, lors de combats drôlement punitifs pour un jeu qui renvoie une image plutôt enfantine. En effet, si on ne parvient pas à faire en un seul jet de dés autant de dégâts que le nombre de point de vie du monstre, l’attaque est annulée et on prend dans la tronche des dégâts en retour et une pénalité de surcroit, comme perdre un orbe par exemple.

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Et finirent la tête la première sur le katana acéré d’un monstre Champignon

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Ouais, ça picote, et j’ai des potes à la déveine chevillée au corps qui ont passé de très mauvais moments dans cet enfer sylvestre. Il faut dire que le jeu est bien décidé à nous faire comprendre que se séparer est une très mauvaise idée, et il y va au marteau-piqueur. En effet, si une attaque classique se fait en jetant un seul dé de combat, dès que d’autres héros nous accompagnent, on jette au moins autant de dés qu’il y a de héros sur la tuile, ce qui augmente significativement les chances de toucher et d’éviter des représailles sanglantes. J’avoue que le concept me parle, j’aime l’idée qu’un groupe est plus fort que des individualités. Malheureusement, cette épiphanie miniature se prend aussitôt un grand coup de hache par l’ordre du jeu, parce qu’il est fixe, et parce que le premier joueur est toujours le même manche après manche. C’est se tirer une balle dans le pied parce que deux héros (Sha’vi, Kletor) sont clairement faits pour jouer les têtes de pont, et qu’il aurait été beaucoup plus intéressant stratégiquement qu’ils soient les premiers à jouer lors de certaines manches.

Alors il faut collaborer étroit… CHUUUUT…. TAIS-TOI, LAISSE-MOI FAIRE, METS-TOI DANS UN COIN ET REGARDE JOUER LES PROS. Ah tiens, voilà le joueur alpha qui arrive avec ses gros sabots et son clairon. Forcément, tout dans ce jeu pousse à gérer le groupe de héros comme une seule entité et à éliminer les décisions individuelles. Où poser les tuiles piochées, qui utiliser comme chair à canon, qui envoyer à la taverne pour récupérer une armure ou un bâton de magie, le jeu est tellement tendu et punitif qu’il faut rationaliser au possible et les loups solitaires ont vite fait de plomber les chances de succès. Je recommande du coup de jouer à ce jeu uniquement en solo, ou à la rigueur à deux, mais en gérant les quatre héros. Oubliez ce que dit le livret de règle, ce n’est pas bien compliqué de jouer deux personnages de plus, on évite d’attendre trop longtemps son tour et le syndrome du joueur qui décide pour tout le monde disparait. Cela rend le jeu jouable, mais n’espérez pas qu’Explorers of the Woodlands devienne soudainement un petit bijou. Il reste très punitif, et on a tendance à toujours suivre la même feuille de route, notamment lors du placement des tuiles. Pas question de faire dans la fantaisie, on trace sa route en ligne droite, en mettant de temps à autre sur le côté les tuiles qui n’apportent rien, et en visitant les tuiles qui rapportent du loot et des orbes.

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Ils vécurent très malheureux et pleurèrent tous leurs membres en moins

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Je ressors ensanglanté de ma promenade sous les frondaisons, et couvert des viscères de mes amis, mais surtout je ressors frustré et déçu. Les illustrations d’Explorers of the Woodlands sont de qualité, j’adore le petit format de la boite, les mécaniques sont vites assimilées, le jeu avait tout pour me plaire. Je salivais déjà à l’idée d’y jouer avec mes enfants. J’ai malheureusement découvert un brouillon de dungeon crawler, hyper directif, avec des choix de game design incompréhensibles et un équilibrage inexistant. J’aurai pu le garder pour les fois où j’ai envie de jouer en solo, et puis les meeples sont vraiment très mignons, mais le jeu ne se renouvelle pas vraiment d’une session à l’autre, avec seulement quatre héros disponibles et aucune place laissée à l’improvisation. Bref, passez votre chemin, vous ne raterez pas grand-chose et votre cardiologue vous en saura gré.

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Fin

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Disponible ici :

Prix constaté : 31,50 €

Explorers of the Woodlands
Mécaniques : coopératif, jets de dés, dungeon crawler
Auteur : Geoffrey Wood
Illustrateur : Jiahui Eva Gao
Editeur : Matagot (VF)
Nombre de Joueurs : 1 à 4 joueurs
Age : à partir de 10 ans (pauvres marmots)
Durée : 45 - 60 minutes
Prix : 31.50 €

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