Test : Earthbone Rangers

par | 7 Nov 2023 | Tests | 0 commentaires

Cette critique a été rédigée à l’aide d’une boite fournie par l’éditeur que nous remercions.

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« Alors je prends mon sabre à lame moléculaire et je décapite ce loutrinal facétieux ». « Non Jean-Michel, tu ne peux pas faire ça dans Earthborne Rangers. Tu peux tenter de te connecter à lui ou essayer de l’effrayer pour le faire fuir. » « Ok, alors je me faufile derrière ce vénérable et je le dépouille de tout son argent avant de jeter sa dépouille dans une poubelle. » « Tu me fatigues Jean-Michel… » Oui, oubliez ce que vous savez des jeux de cartes évolutifs comme Marvel Champions, le Seigneur des Anneaux ou Horreur à Arkham. Si Earthborne Rangers reprend un grand nombre de leurs principes, le thème, l’ambiance, le but sont radicalement différents, et ça a mine de rien un grand impact sur le jeu et sur la façon de l’aborder et d’y jouer.

Les prémices sont pourtant similaires. Il s’agit ici aussi d’un jeu coopératif dans lequel chaque joueur part avec un deck construit en amont et l’utilise pour s’équiper, faire appel à des alliés, résoudre des tests, faire avancer l’histoire. L’histoire justement, parle d’une époque lointaine, où les hommes reprennent petit à petit possession de leur planète après qu’ils ont décidé de se terrer dans des abris souterrains, afin de laisser à la Terre le temps de se soigner. 2500 ans sans pouvoir envoyer les gamins jouer dans le jardin, j’ai mon syndrome post-confinement qui se réveille. Toujours est-il que la nature a repris ses droits, mais avec une petite touche d’originalité, rapport au fait que l’homme aime faire mumuse avec des trucs qui le dépassent. Imaginez donc un monde rempli des descendants des créations hybrides qui grandissent dans nos laboratoires, on pourrait facilement en tirer un film d’horreur, ou pire, un roman de Bernard Werber.

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La petite maison dans la prairie aux OGMs

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Etonnamment, Earthborne Rangers ne part pas dans cette direction. Point d’ambiance glauque avec musique angoissante ici, les prédateurs rôdent bien sûr, mais il fait beau (en tout cas au début), les oisours pépient (ou grognent peut-être, ce n’est pas précisé), c’est très champêtre. Et tout le reste est à l’avenant : il n’est pas question de tuer, de détruire, de génocider. Les tests de base parlent de communiquer avec une créature, d’en esquiver une autre, de traverser un lieu, de faire appel à son savoir. Certes, la notion de préjudice existe, mais c’est au final logique. On est dans le règne animal, pas chez les bisounours. Le prédateur chasse, la proie prend cher. Et nous au milieu de tout ça ? Nous sommes des Rangers, le corps d’élite chargé de redécouvrir cette Terra Incognita, de faire les liens entre les villages éparpillés dans la Vallée, ou encore de mettre la main sur les artefacts de notre passé. Bien sûr, nous venons tous d’horizons très différents, ce qui explique nos profils plutôt asymétriques.

Le monde est très ouvert, et c’est aux joueurs de choisir où est-ce qu’ils souhaitent aller, même si la première mission de notre périple donne une direction générale, un élan nécessaire, tant de liberté pouvant s’avérer un peu intimidant. Et maintenant, je fais quoi ? Eh bah tu prends ton petit panier de cookies, et tu vas en distribuer au village voisin. Oui, le début n’est pas vraiment épique, et le reste est à l’avenant. Nous ne sommes pas là pour sauver le monde d’une énième destruction, nous agissons pour que notre communauté naissante survive, pour que le réseau de villages se renforcent, pour aider ses habitants quand ils ont besoin de nous. Les sessions consistent souvent à explorer une région, où l’on fait des rencontres plus ou moins amicales, et à progresser suffisamment sur le chemin pour pouvoir avancer à la région suivante. Rien d’extraordinaire. J’insiste, parce que c’est quelque chose qu’il faut garder à l’esprit quand on aborde ce jeu.

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Ranger force jaune pâquerette

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En effet, le piège serait de le voir comme un clone de Marvel Champions ou d’Horreur à Arkham. Bien sûr, on retrouve de nombreux points communs : chaque joueur part avec un deck déjà construit, un personnage avec sa spécialité et des caractéristiques légèrement différentes. A son tour, le joueur peut notamment jouer une carte de sa main (un équipement, un événement, un allié, vous connaissez le principe) en payant son coût, puis vient le tour de l’environnement, avec toujours plus de nouvelles rencontres. Il y a cependant déjà quelques différences : la première, c’est que les joueurs alternent les actions, et on ne doit pas attendre que le coéquipier ait utilisé toute sa main avant de pouvoir jouer. Une deuxième, c’est qu’un léger twist a été apporté au principe fondamental de payer les cartes que l’on souhaite jouer avec les autres cartes qu’on a en main. Ici ce sont les valeurs de caractéristiques du personnage (3 en Concentration,1 en Physique, 2 en Esprit, vous avez compris l’idée) qui servent de monnaie, tandis que les cartes peuvent être défaussées pour renforcer nos chances de réussir un test, l’autre action principale qu’un joueur peut entreprendre à son tour. Le panel d’actions à notre disposition est plus large, il est tout à fait possible de jouer une ou plusieurs cartes, et de réaliser plusieurs tests, tout ça dans la même manche.

Cela pourrait laisser à penser que le jeu propose moins de dilemme que ses concurrents, mais ce n’est pas tout à fait vrai. En effet, pour pouvoir réaliser un test, en plus des cartes, il est obligatoire de dépenser au moins un jeton d’énergie dans la caractéristique concernée (logique, cela requiert un effort). Il y a donc des choix réels à faire entre réaliser ce test de chasse, ou poser ses bâtons de marche, vous ne pourrez pas tout faire et il faudra prioriser. D’autant plus que la journée se termine, et avec, tout espoir de terminer telle ou telle quête, lorsque l’un des joueurs épuise son deck. Non, contrairement aux autres JCE, on ne remélange pas sa défausse, et du coup on réfléchit à deux fois avant de cramer deux ou trois cartes pour assurer un test. Mais on le fait quand même, parce que ces tests sont au cœur du jeu, parce que ce sont eux qui font progresser l’histoire et l’aventure, et parce que ce sont eux qui introduisent la dimension narrative essentielle à l’appréciation du jeu. Il ne s’agit pas de réaliser un test rouge aidé par un certain type de symbole, il s’agit de traverser un marécage ou encore de se tailler un chemin dans une jungle impénétrable. De la même façon, les cartes qui arrivent au fur et à mesure en jeu sont à notre portée, ou bien le long du chemin, et cela a une incidence.

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Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage…

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Les joueurs sont donc beaucoup plus impliqués dans l’avancée de l’histoire, parce que tout est prétexte à renforcer la dimension narrative, parce que c’est un grand bac à sable, avec plusieurs façons d’avancer, ou plusieurs chemins à explorer, et parce que ce sont les joueurs qui vont choisir d’essayer de calmer ce grand prédateur plutôt que de le blesser pour le faire fuir. Deux tests différents, deux façons de procéder, qui auront des conséquences ultérieures. On retrouve ce genre de choix à chaque coin de bosquet, ou presque : certains éléments seront des passages obligés, mais la grande majorité de l’aventure est générée aléatoirement, et très correctement. L’écriture est plaisante, et évite le cynisme ou le quatrième degré un peu trop à la mode ces temps-ci. On prend plaisir à écouter ce que ce pêcheur a à nous raconter, ou à lire ces tablettes qui parlent d’un passé technologique révolu. La traduction s’avère d’ailleurs de très bonne qualité dans son style un peu désuet, un point important pour un jeu avec autant de texte.

Mais on pourrait tout aussi bien faire le choix de s’épargner tout ce blabla et de ne se préoccuper que de mécaniques. Et ça marcherait beaucoup moins bien. Le challenge n’est pas aussi relevé que dans un Horreur à Arkham, il n’est notamment pas possible de mourir. Certes les joueurs peuvent subir des blessures, mais cela se traduit simplement par des cartes qu’on défausse de notre deck, sachant que si le deck de l’un des joueurs est vide, la journée s’arrête automatiquement. On perd alors toute progression sur les quêtes en cours, voire carrément les quêtes elles-mêmes. Mais demain est un autre jour et l’aventure continue malgré tout. L’ergonomie également pose soucis, parce que plusieurs tests différents sont régis par des codes couleurs similaires, parce que les symboles ne sont pas forcément parlants, parce que certaines règles deviennent fastidieuses à gérer et sources d’erreur si on leur enlève leur justification narrative. Ainsi, la fatigue subie lorsqu’on réalise un test sur une carte qui n’est pas posée devant nous se révèle tout de suite beaucoup moins simple à retenir si on fait fi des notions de portée ou d’alentours. Le livret de règle est d’ailleurs un peu léger sur certains points, et il faudra aller chercher la réponse sur les forums, ou carrément improviser.

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Et tout ça en lisant, cinq ou six lignes par page

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Mais après tout, pourquoi pas ? Alors que plusieurs autres jeux utilisent la Dark Rule ou autre dénomination similaire et demandent de prendre l’option la plus désavantageuse en cas de doute, Earthborne Rangers part dans la direction opposée, et propose plutôt d’aller respirer un grand bol d’air frais dehors. L’idée est rafraichissante, et les magnifiques illustrations aident grandement à jouer le jeu. Tant pis si on ne sait pas quoi faire des marqueurs de progression posés sur une carte permanente quand on décide de voyager vers un autre lieu, on choisit ce qui fait le plus sens thématiquement, et on se réjouit d’aller explorer l’avant-poste Nord en compagnie de ce vieux bourru de Cordo. Tant pis s’il n’y a pas de grand vilain à terrasser, et que l’aventure s’arrête au bout d’une trentaine de journées. Ici encore plus qu’ailleurs, le voyage importe plus que la destination. La direction artistique, le travail sur la narration et la traduction, la variété des cartes permettent également de faire passer la pilule d’un jeu sans véritable insert, avec une qualité de matériel on ne peut plus standard, vendu quand même 90€.

Le prix s’explique notamment par la démarche éco-responsable qui a donné naissance au jeu, et qui a abouti à un produit fabriqué en Europe et entièrement recyclable ou biodégradable. Et donc oui, c’est cher, et si je n’avais pas reçu la boite gratuitement de la part d’Intrafin, je ne pense pas que je l’aurais acheté, surtout après un premier contact un peu décevant parce que trop centré sur les mécaniques. Et je serai passé à côté d’une vraie expérience ludique, celle d’une soirée jeu entre amis à s’entraider, à vivre ensemble une aventure, transportés dans un univers familier et étrange à la fois, à faire des choix dans lesquels nous nous impliquons, et qui nous font réfléchir et discuter du jeu bien après avoir refermé la boite. Voilà encore une différence notable : alors que les cousins de chez FFG sont aussi de formidables jeux solos, Earthborne Rangers est surtout un jeu coopératif. D’ailleurs, je déconseille de se lancer seul dans l’aventure, parce que la difficulté ne sera pas aussi corsée, parce que la construction de deck laisse entrevoir moins de potentiel, parce que le jeu repose beaucoup plus sur son univers et son exploration. Pour moi, vous en profiterez bien plus en y jouant avec un groupe de potes, avec qui vous partagerez le prix de la boite et un paquet d’anecdotes à raconter au coin du feu.

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Disponible ici :

Prix constaté : 90 €

Earthbone Rangers
Mécaniques : deck-building, open world, narratif, coopératif
Auteurs : Andrew Fischer, Brooks Flugaur-Leavitt, Andrew Navaro, Adam Sadler, Brady Sadler
Illustrateur : Joe Banner, Evan Simonet
Editeur : Intrafin
Nombre de Joueurs : 1 à 4 joueurs
Age : à partir de 12 ans
Durée : 60 à 240 minutes
Prix : 90 €

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