L’édito du Labo #1 – Joueurs : tous adulescents ?

par | 1 Oct 2023 | News | 5 commentaires

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“Vous êtes quand-même un peu des adulescents, non ?”

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La sentence est tombée comme un couperet avec, dans le rôle du bourreau, la compagne d’un ami joueur. En tant que passionnés de jeux de société, nous serions des adulescents. J’avoue ne pas avoir beaucoup apprécié la remarque. J’aurais pu simplement écarter cette étiquette qu’on essaye de me coller. La considérer comme un jugement à l’emporte-pièce qui ne repose sur rien d’autre que des préjugés idiots et m’arrêter là. Mais j’ai quand-même voulu creuser un peu. Voir si une part de vérité ne se cachait pas derrière ce qualificatif d’apparence complètement idiot.

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Déjà, d’où vient ce néologisme ? Adulescent est un mot-valise issu de la contraction d’adulte et d’adolescent. Il semble qu’il soit, à l’origine, la traduction maladroite de kidult, un terme né dans des milieux publicitaires, qui définit des hommes et femmes ayant conservé une appétence pour des produits liés à l’enfance (bonbons, dessins animés…) et associeraient dans leur comportement de consommateur les caprices de l’enfance et le portefeuille d’une grande personne.

Son sens a ensuite été étendu par différentes personnes (sociologues, psychanalystes, journalistes…) et de manière sensiblement différente. On garde le principe de base, un individu ayant atteint l’âge adulte tout en gardant des caractéristiques de la période adolescente (voire infantile) et on y colle un peu ce qu’on veut. Ce qui définit un comportement adulte d’un comportement plus immature va dépendre beaucoup de la thèse de l’auteur qui s’est emparé de ce mot.

Comme Tony Anatrella, un psychothérapeute et prêtre catholique connu pour ses positions très conservatrices. Il a notamment animé des thérapies de conversion dont le but est de modifier l’orientation sexuelle des personnes gays. Au moins depuis 1988 et la sortie de son livre Interminables Adolescences, il considère les mœurs modernes comme le témoignage d’une immaturité qui perdure à l’âge adulte. Sans surprise, il a repris abondamment la notion d’adulescent dans ses essais et interventions publiques. Au point d’en revendiquer faussement la paternité.

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Qu’est-ce que tout ça à voir avec moi ? J’ai bien peur que si ma passion avait été la chasse, la guitare ou le point de croix, je n’aurais pas eu le droit à ce genre de réflexion. Il faudrait peut-être arrêter avec cette idée que jouer nous permettrait de renouer avec l’enfant qui est en nous. En tant qu’adulte, nous ne jouons ni aux mêmes jeux, ni de la même manière. Et ce n’est pas un jugement de valeur ! En tout cas pas de la manière dont vous l’imaginez. Je pense, au contraire, que nous avons tous beaucoup à apprendre de l’enfant et de son jeu, certes chaotique mais aussi plus franc, plus libre et moins complexé.

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Cette idée reçue tenace n’explique pas tout. Rappelez-vous, sa définition première (et publicitaire) définissait l’adulescent comme un consommateur déraisonnable. Un trait qui n’a rien à voir avec la pratique du jeu en lui-même mais qui parlera aux passionnés que nous sommes. Je m’étonne d’ailleurs de ne pas trouver, dans les essais qui ont repris ce terme à leur compte, de chapitres sur les méthodes marketing de plus en plus travaillées pour nous pousser à l’achat comme l’utilisation à outrance du champ lexical de l’irrésistibilité dans les publicités. Tellement fréquente que nous nous en sommes emparés.

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Il faudrait peut-être arrêter d’ailleurs. Arrêter d’exposer nos piles de la honte, de nous amuser d’avoir craqué pour une nouvelle boite et que, oh là là, qu’est-ce qu’on va prendre quand notre banquier/banquière/conjointe/conjoint (rayez les mentions inutiles) va l’apprendre !

Il faudrait peut-être arrêter de faire de notre immaturité un marqueur d’identité sociale. Nous sommes des joueurs, nous n’avons pas besoin de le prouver.

Si nous sommes des adulescents (si tant est que ce mot ait véritablement un sens) ce n’est pas tant par notre manière d’occuper nos loisirs que par notre manière de les consommer.

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Teaman.

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5 Commentaires

  1. boutdengin

    Hé Hé…

    J’ai eu ma première console à 10 ans, mais je jouais déjà aux jeux vidéo chez des copains sur un Amstrad CPC 64, un TO7, etc. Je joue depuis toujours… Là où mes parents pensaient que ce n’était qu’un passe-temps d’enfant puis d’adolescent, j’ai toujours continué à jouer. J’ai eu mes enfants et j’ai commencé à m’intéresser à d’autres supports, je ne voulais pas, à leur âge qu’ils passent autant de temps avec un écran. Il y quatre ans j’ai découvert les jeux de société. Du moins ceux que je qualifie de moderne !!! Monopoly, Scrabble, La bonne paye… J’ai connu tout ça.
    Je sortais d’une grosse session Dark Souls III sur PS4 et je suis tombé sur le net sur un article présentant Dark Souls, le jeu de cartes. Excellent… Aujourd’hui il ne fait plus partie de ma ludothèque mais je dois bien avoir une cinquantaine de jeu !
    Je raconte ma vie, mais c’est pour présenter ma vie de joueur. Je pense que dans notre société, les gens ont du mal avec le jeu. Et des adultes qui jouent, c’est bizarre ! Un adulte, ça doit travailler. C’est comme cela pour mes parents, mais c’est aussi comme cela pour ma femme. Elle voit son épanouissement dans son travail qu’elle accomplit à merveille alors que moi, j’aime jouer, j’aime jouer et je ne l’ai peut-être pas assez dit mais j’aime jouer. Seul, à plusieurs, des jeux d’ambiance à l’expert en passant par toute forme de jeu.
    Je travaille mais c’est alimentaire, j’ai des enfants et je m’en occupe bien (de mon point de vue). Ma femme n’aime pas jouer en revanche, elle fait un effort pour faire un jeu familial, mais je ne lui proposerai pas un Gloomhaven. J’ai essayé Horreur à Arkham JCE. Elle a bien aimé, mais elle trouve ça très long et préfère passer son temps libre à autre chose. Mes parents trouvent ça bizarre que je joue encore à mon âge, ma femme aussi. Je continue à m’acheter des jeux, mais je ne le lui dis pas, on n’en parle pas… Il y a que mon fils de 11 ans qui balance : « T’as vu Maman ? Papa s’est acheté un nouveau jeu ! »
    Et autour de moi, j’ai peu de gens qui jouent, j’ai un collègue qui partage ma passion et c’est tout ! Il y a un café ludique pas loin de chez moi qui organise des soirées jeu, j’y ai déjà participé et c’est sympa, j’y suis allé seul et avec un copain. Je me suis bien amusé à chaque fois.
    Voilà, à part discuter sur des forums et des réseaux sociaux, je parle peu des jeux auxquels je joue, à part avec mes enfants qui y viennent doucement. J’ai des fois l’impression que de parler jeu (en général) avec des personnes qui ne jouent pas ou de manière occasionnel d’être vu comme un cas social. Le gars, il est adulte et il passe son temps à jouer. Il n’a rien d’autre à faire !
    Je ne pense pas être immature, loin de là, mais j’ai cette passion du jeu qu’on attache à l’enfance, c’est tout. Pour finir, j’aurai bientôt 47 ans.

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    • Fabien

      merci d’avoir pris le temps d’écrire ce commentaire !

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    • Teaman

      Merci de nous partager ton histoire de joueur ! Les mentalités changent petit à petit mais espérons que ça s’accélère. Que le jeu puisse enfin devenir une pratique culturelle à part entière !

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  2. laurent J.

    Je pense que le jeu de société dans sa version moderne fait beaucoup écho (en tout cas pour ma part) à du jeu vidéo sur table.
    C’est socialement un poil plus accepté, puisque l’on fait fasse aux autres physiquement, plutôt qu a travers un écran.
    Pourtant le débat est le même : les jeux (boardgame ou vidéos) sont ramenés à une activité destinée aux enfants.
    Pourtant en quoi seraient-ils moins adulte que le sport? Est ce que courrir apres un ballon est une démarche adulte?
    Allons plus loin, est-ce que regarder un match devant sa TV est plus adulte?
    D’ailleurs quelle activité est acceptée en tant qu adulte en soirée ? Regarder la TV pour suivre une série ou l amour est dans le pré le serait?
    Je trouve que sortir un jeux et faire travailler ses méninges est bien plus adulte qu une oisiveté devant un écran 😅

    Je crois que qualifier les joueurs de jeu moderne d adulescent est une remarque condescendante qui dénigre une activité récente qu on ne comprend pas.
    Et si je parle de jeu moderne, c’est aussi car cette réflexion infentilisante autour du jeu de société n existait pas avant, bien au contraire… puisque qu avant la place prépondérante des écrans, se réunir pour des belotes, coinches, tarot, poker et autres jeux de cartes étaient des activités plus associées aux adultes qu aux enfants.

    Quant à l’aspect consommation, c’est effectivement important de s interroger sur la place de nos modes de consommation, dépenses et impacts écologiques de nos activités. Mais ni plus, ni moins que nos choix de vacances (avions ?), consommation de mal-bouffe, achats de gadgets technologiques chinois ou fast fashion.

    Voilà mon point de vue 😉

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    • Teaman

      Un point de vue intéressant que je partage en quasi-totalité. Je reviendrais juste sur l’idée que l’association jeu – enfance serait une opinion récente. C’est un peu plus complexe que ça. On retrouve régulièrement cette association dans l’histoire, dans des textes attribués à Platon ou d’autorités religieuses de l’époque médiévale. Parallèlement, il existait -au moins depuis l’antiquité- des jeux considérés comme des activités d’adultes (des jeu de plateaux comme l’alquerque, les dames, l’awalé ou les échecs, des jeux de dés, des jeux de cartes). Ils étaient, selon les époques, plus ou moins bien perçu par la société (les jeux d’argent furent régulièrement interdit et l’utilisation du hasard de manière aussi triviale étaient parfois vu comme une offense faite au divin). Cela fait longtemps que dure ce paradoxe et je pense qu’il y aura toujours un curseur à placer. Une chose est sûre l’activité ludique chez l’Homme ne s’arrête pas systématiquement à l’enfance.

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