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L’édito du Labo #6 – L’âge d’or du jeu de société est révolu

Tout ce qui va suivre est une réflexion personnelle. C’est une opinion qui n’a pas d’autre l’ambition que d’énoncer mon ressenti et non une vérité absolue. Internet semble nous le faire oublier, nous avons le droit de ne pas être d’accord, d’avoir des idées, des perceptions, des convictions contraires sans s’envoyer des noms d’oiseaux sous forme de tweet ou d’autres choses.

J’ai le plus profond respect pour vous et si à la fin de votre lecture, vous n’êtes pas convaincu par ma prose mon respect restera le même. J’espère que vous ferez de même pour moi…

En tant que joueur, je pense avoir connu l’âge d’or du jeu de société. Une époque où on attendait la sortie annuelle des éditeurs que l’on aimait, où l’on pouvait jouer à tout ce qui sortait sans avoir ni l’argent, ni le temps libre d’un rentier millionnaire. Les auteurs étaient des explorateurs qui tentaient des choses, se foiraient souvent mais nous offraient parfois des petits bijoux d’originalité ludique. Les bons jeux étaient vraiment bons. Les jeux mauvais, vraiment mauvais mais tous étaient sincères. Les pires sorties n’étaient pas le produit d’un mesquin calcul financier ou d’un travail à la chaîne mais d’un aveuglement. Ce genre de jeu qui devait amuser son créateur et ses copains mais qui n’auraient jamais dû franchir le rubicon de l’édition.

Cette époque est révolue. De nos jours, les éditeurs se sont mis en tête (à tort ou à raison) que pour survivre il fallait produire. Il faut sortir du jeu pour exister sur les étagères des boutiques et les fils des influenceurs. Même si les étals débordent et les influenceurs sont débordés, incapables de gérer la masse de jeux créés par cette hyperproduction. Les éditeurs doivent gérer entre des temps de production de plus en plus serrés et des attentes des joueurs de plus en plus importantes.

Pour se démarquer, la plupart misent plus sur la forme que sur le fond. L’effet “Wahou!” est souvent privilégié aux longues phases de tests et aux peaufinages de règles.

De leur côté, les auteurs se sont professionnalisés. Ils se regroupent, s’organisent à la fois pour défendre leurs intérêts et pour profiter de l’émulation collective et perfectionner leurs protos. Et ça a l’air d’avoir augmenté la qualité de ses derniers. Les règles proposées aux éditeurs sont plus propres et les mécaniques moins cassées. Le revers de la médaille, c’est un manque d’innovation. Si on veut “faire carrière” dans la création de jeux, il faut publier un maximum de jeux. Et pour ça, les auteurs ont établi des stratégies en proposant des protos correspondant aux attentes des éditeurs. Ils ne créent plus pour eux ou pour des joueurs, ils produisent pour des éditeurs et leur vision du marché. Il faut rentrer dans des gammes, réfléchir en amont aux contraintes matérielles, se soumettre aux logiques de production. La conséquence, pour nous joueurs, c’est une offre de jeux qui s’uniformise. En suivant tous le modèle du jeu “qui marche”, tous les jeux finissent par se ressembler.

Je ne sais pas pour mes collègues mais, en ce qui me concerne, plus les années avancent et moins j’ai de coup de cœur. Des jeux qui m’épatent et m’impressionnent. Les boîtes restent de moins en moins longtemps sur mes étagères. Elles subissent un turnover cruel. Enfin… “Subissait” parce que je me suis lassé de cette valse incessante. Plus l’offre augmente, plus mes achats baissent. Plus s’accroît mon désir de me concentrer sur un petit panel de jeux assez originaux et bien foutus pour avoir envie de les épuiser jusqu’à la corde.

Fort de sa popularité grandissante, le milieu du jeu de société est passé de l’artisanat parfois un peu foutraque à la logique industrielle. Ça a ses bons côtés, il y a moins de jeux complètement pétés et les conditions des auteurs semblent s’être améliorées. Malheureusement, on a aussi perdu des choses. L’originalité, la sincérité, l’authenticité. Des qualités difficiles à évaluer mais qui forgeait un rapport différent du joueur au jeu et à ses acteurs. Certains éditeurs se plaignent du clientélisme des joueurs actuels mais est-ce vraiment de leur faute ? N’est-ce pas juste un signe du temps ? Une époque qui se termine.

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